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  avril 2019

« Assemblée constituante ? » Le bricolage constitutionnel ne mettra pas fin à la misère capitaliste – Pour un gouvernement ouvrier et paysan ! 

Algérie : pour la révolution ouvrière
contre le régime militaire !


Plus d’un million de personnes d’Algériens sont descendus dans la rue en plusieurs occasions dans le hirak (« mouvement citoyen ») contre le système. En haut: manifestation à Alger, le 24 mars.  (Photo : Mohamed Messara/EPA)

Il faut balayer tous les clans de la bourgeoisie
et renverser le système capitaliste !

Des centaines de milliers d’Algériens sont descendus dans la rue tous les vendredis depuis le 22 février – on est déjà au neuvième. On chiffre les manifestants à plus d’un million en plusieurs occasions. Il s’agit sans aucun doute des manifestations les plus importantes depuis l’indépendance et ont embrassé les coins les plus reculés du pays, les femmes et les jeunes étant particulièrement représentés. On parle de la « révolution du 22 février ». C’est une illusion, toute comme on a qualifié les soulèvements qui ont renversé Ben Ali en Tunisie et Mubarak en Egypte une révolution, pour ensuite voir la montée des islamistes, suivi par le retour des militaires.

On scande, « Système dégage ». Oui, c’est tout un système, pas seulement un président ou un clan. Et ce n’est seulement l’absence de la « démocratie » (bourgeoise) non plus. Mais qu’il soit les copains corrompus ou des militaires puissants, ils ne quitteront jamais le pouvoir volontiers – il faut les renverser. Après la démission du président Abdelaziz Bouteflika, dicté par les généraux sous pression de la rue, le pouvoir algérien est en train de se regrouper. Ce système de chômage massif et de bas salaires, de répression tous azimuts, s’appelle le capitalisme, et pour le balayer il nous faut une révolution ouvrière, socialiste et internationaliste. Il incombe aux militants les plus conséquents de forger la direction révolutionnaire nécessaire.

Pas seulement en Algérie : à travers l’Afrique, du Soudan et Mali jusqu’à l’Afrique du Sud, il y a des luttes qui visent la chute des régimes en pouvoir depuis des décennies. Dans les métropoles impérialistes on voit des mouvements populistes comme les « gilets jaunes » en France, parfois de gauche mais plutôt de droite, qui sont une réponse déformée aux ravages de la crise économique capitaliste qui durent depuis le krach boursier de 2008. En l’absence d’une direction révolutionnaire qui lutte contre la vraie cause des troubles et la misère de ceux d’en bas, la domination du capital, ils ciblent des faux ennemis, que ce soit les banques ou les immigrés.

Le « raïs » (leader) muet : la population avait la sensation d’être gouvernés par un cadre. Abdelaziz Bouteflika (à gauche, en 2017) n’a pas parlé en public depuis 2013, ce qui soulève la question, qui vraiment gouverne l’Álgérie ? (Photo : Ryad Kramdi / AFP)

En Algérie, l’impulsion immédiate des manifs a été donnée par la décision du président Bouteflika de briguer un cinquième mandat. Depuis que « Boutef » n’a presque jamais été vu en public ni entendu parler depuis un accident vasculaire cérébral survenu en 2013 (ce qui n’empêchait nullement son quatrième mandat !), on écoutait la plaisanterie amère que les Algériens étaient gouvernés par [une photo dans] un cadre. Bien sûr, tout le monde savait que pour étayer cette momie invisible et muette il y avait tout un clan corrompu. Pourtant, pour se débarrasser de ces parasites, il faut beaucoup plus que mobilisations bon enfant hebdomadaires.

La colère refoulée contre la hogra – le mépris arrogant de la classe dirigeante pour la population qu’elle dit représenter – a finalement éclaté au niveau national. Dans le même temps, hanté par les quelques 150 000 morts de la guerre civile entre les réactionnaires islamiques et l’armée meurtrière qui durait de 1991 à 1999, et conscient du fait que cette armée se tient fermement derrière les « décideurs » (les réseaux de bureaucrates et hommes d’affaires profitant de la misère de l’Algérie), les manifestants ont souligné à plusieurs reprises le caractère pacifique de leurs manifestations.

Les aspirations des masses à un régime honnête et véritablement démocratique reposent donc en fin de compte sur la bonne volonté d’au moins une partie des forces armées. Le général Ahmed Gaïd Salah, chef d’état-major de l’ANP, a ordonné l’arrestation de plusieurs figures importantes de l’entourage de Bouteflika  Cependant l’armée joue au chat et à la souris avec les manifestations et peut à tout moment recourir à une répression massive si les manifestants continuent de contester les projets de transition des militaires. La tâche stratégique ainsi posée est de savoir comment transformer ce soulèvement populaire naissant en une révolution ouvrière.

Les exemples de la Tunisie et de l’Egypte montrent que les changements politiques cosmétiques sont une impasse dangereuse. Nous avions alors demandé « Qu’est-il advenu du ‘printemps arabe’ » ? Notre réponse:

« Les revendications démocratiques peuvent mobiliser des millions de personnes pour renverser le régime militaire / policier bonapartiste. Mais en cette ère de déclin capitaliste, alors que les dirigeants impérialistes détruisent systématiquement les acquis démocratiques du passé, des droits syndicaux à l’éducation publique, ils ne toléreront ni ne pourront tolérer une démocratie bourgeoise même limitée pour ceux qui travaillent dans les ateliers du capitalisme ‘globalisé’.... Si une dictature semi-coloniale est renversée, elle sera remplacée par un autre régime antidémocratique légèrement reformulé tant que la classe dirigeante bourgeoise, faible et tributaire de l’impérialisme, reste au pouvoir ».
–« Tempête sur le Moyen-Orient » (en anglais), numéro spécial de The Internationalist, été 2012

Et ensuite ?


Le président Bouteflika avec le général Gaïd Salah président une parade militaire en 2012.  (Photo : EPA)

Le mouvement populaire étant organisé sur un rythme hebdomadaire, à l’instar des « gilets jaunes » en France, les manipulateurs et gestionnaires du régime Bouteflika ont tout d’abord emprunté à la politique d’endiguement du président français Macron: à la mi-mars, on a annoncé qu’il ne se présenterait pas aux élections et démissionnerait finalement après avoir « consulté » la population sur les changements futurs. Cela n’a impressionné personne.

Fin mars, le général Gaïd Salah, a été obligé d’intervenir. Il proposait que le Conseil constitutionnel déclare Bouteflika inapte à exercer ses fonctions, comme prévu à l’article 102 de la Constitution algérienne. Le président de la chambre haute du Parlement, Abdelkader Bensalah, serait alors président par intérim. Mais Bensalah est un larbin connu de la bande de Bouteflika, et cela n’a réduit en rien la taille des manifestations.

Gaïd Salah a répété sa « suggestion » le 30 mars, ajoutant cette fois que toute tentative de « porter atteinte » l’armée serait une « ligne rouge » à ne pas franchir. Le 2 avril, Bouteflika a finalement démissionné. Salah, lui-même un ancien protégé de Bouteflika, a commencé à purger les agences de la police secrète des sympathisants de Bouteflika et à la ramener sous le contrôle direct de l’armée, afin de faire ainsi l’appareil répressif plus efficace.

Certains manifestants ont opposé l’article 7 constitutionnel, selon lequel « le peuple est la source de tout pouvoir », aux dispositions de l’article 102, mais il ne s’agit en réalité que d’une rhétorique abstraite. Un autre appel a été lancé pour purger les fameux trois « B » – Bensalah, Tayeb Belaïz (président du Conseil constitutionnel) et Noureddine Bedoui (chef du gouvernement intérimaire). Belaïz a maintenant démissionné et les ministres de ce « gouvernement » rencontrent l’hostilité où qu’ils aillent, mais expulser les hommes politiques corrompus un par un serait un processus sans fin.

Les élections présidentielles sont maintenant prévues pour juillet et, bien que la volonté de les boycotter semble s’accroître de manière constante, les généraux pourraient toujours les imposer. Il était symptomatique de l’isolement de la clique Bouteflika que les marches de masse initiales n’aient pas suscité de répression policière instantanée. Mais la récente déclaration de Gaïd Salah selon laquelle les manifestations étaient sous la « protection » de l’armée était peut-être plus menaçante que rassurante. L’annonce faite à El-Djeich (organe de l’armée) le 5 avril, selon laquelle les forces armées soutiendraient « les revendications légitimes clairement exprimées par le peuple », laisse au haut commandement beaucoup de marge de manœuvre.

Des incidents récents montrent que l’armée est en train de perdre patience face aux manifestants. Le mardi 9 avril, alors que les étudiants s’apprêtaient à marcher sur le centre d’Alger, comme ils le faisaient depuis le début du mouvement, ils ont été attaqués et arrêtés par la police. Le vendredi 12, la police anti-émeute a tiré des grenades lacrymogènes sur des foules denses au centre-ville d’Alger, dans lesquelles des enfants et des personnes âgées ont participé. Même des groupes quittant la manifestation pour rentrer chez eux ont reçu des gaz lacrymogènes et des policiers en civil ont pourchassé des jeunes manifestants dans les rues. La semaine suivante, le mardi 16 avril, les troupes de choc de la Brigade de recherche et d’intervention ont été envoyées à la faculté de droit d’Alger pour disperser une manifestation d’étudiants.

L’arrestation de jeunes manifestants arrêtés le samedi 13 avril sur la place devant la poste principale, lieu des manifestations hebdomadaires d’étudiants, a été particulièrement effrayant. Les dix membres détenus du Mouvement démocratique et social (MDS, successeur de l’ancien parti stalinien pro-soviétique, le PAGS) et du Rassemblement action jeunesse (RAJ, une association de défense des droits civils) ont été emmenés à la poste de police situé à 20 km d’Alger. Les quatre femmes arrêtées ont fait l’objet d’une fouille à nu – acte d’humiliation odieux et avertissement clair adressé à l’ensemble de la gauche.

Dans les deux derniers jours les querelles intestines à la tête des institutions répressives s’intensifie. Le général Gaïd Salah lance des avertissements et des menaces envers le noyau dur des partisans du clan de Bouteflika, la DRS (Département de Renseignement et de la Sécurité). Au même temps le chef de l’état-majeure de l’ANP se plaint des actions des masses qui ont chassé des ministres et déclare qu’il faut « mettre en échec » ceux qui œuvrent à la « déstabilisation », qu’il imposera une « transition apaisé », qu’il y aura des élections présidentielles en juillet, et point. Il veut « fermer le jeu » comme disent les titres des journaux. « Game over » à l’invers ? Nous ne le croyons pas.

Assemblée constituante sous tutelle militaire ?

La condamnation du « système » et de l’ensemble du régime est à la fois très répandue et profonde, mais ne comporte aucun programme positif autre que le désir nébuleux d’une nouvelle forme de gouvernement. Ni une direction politique ni aucune organisation de lutte n’ont émergé. On voit parfois des slogans hostiles au général Gaïd Salah, mais ils sont loin d’être universels. Bien que le gros des manifestants est jeune et originaire des classes « populaires », la présence de diverses professions, allant des juristes, professeurs d’université aux journalistes, en passant par les juges, a également joué un rôle important.

Le mouvement a été alimenté par des grèves ouvrières et des arrêts de travail, mais celles-là ne se sont pas transformées en grève générale et les derniers ont eu parfois le caractère d’une mobilisation « civique » multi-classe. Même le milliardaire Issad Rebrab, dont le groupe industriel Cevital (métallurgie et agroalimentaire) est la plus grande entreprise privée du pays, a entré dans le jeu et s’est joint aux manifestations. Mais les travailleurs en grève à Métal Structure près de Bouira ne sont que les dernières victimes de l’exploitation impitoyable de Cevital.

Le général Gaïd Salah a fait le tour des « suspects habituels », des hommes d’affaires liés au clan Bouteflika, tels que Ali Haddad, président du FCE (Forum des chefs d’entreprise), qui fut détenu à la frontière tunisienne alors qu’il essayait de fuir le pays. Mais accuser cette clique simplement de piller le pays ou même de gaspiller l’argent du pétrole algérien sur des projets mégalomanes, comme une énorme mosquée d’Alger d’une valeur de 4 milliards de dollars, n’est qu’une tentative de détourner l’attention des crimes beaucoup plus grandes de Bouteflika et de ce régime dans lequel le capitalisme d’état cohabite avec un capitalisme de copinage rapace.

Surtout après le renversement contrerévolutionnaire de l’Union Soviétique en 1991-1992, les gouvernements algériens, en tant que pions de l’impérialisme, ont imposés les politiques dites « néolibéraux » de privatisations et austérité pour les travailleurs, selon les recettes du Fonds monétaire international. Cela commençait déjà sous le général Zéroual, prédécesseur de « Boutef ». Après la tentative d’industrialisation du pays en utilisant les revenus pétroliers pour acheter des usines « clé en main », placées sous l’égide de l’État, s’est révélé un échec, le tournant vers le « marché libre » fut dirigé par les islamistes

À l’automne 1988, après une révolte de la jeunesse urbaine réprimée au prix de plus de 500 vies, le régime s’engage d’abord à assouplir le système politique en instaurant un système multipartite. Les bénéficiaires immédiats étaient les islamistes, ce qui a produit l’intervention de l’armée après leur victoire au premier tour des élections législatives en décembre 1991. Les généraux voulaient préserver à tout coût leur monopole du pouvoir. Pourtant, à la suite d’une guerre civile cruelle, l’armée installait Bouteflika à la présidence afin d’œuvrer à la réconciliation avec les réactionnaires islamistes et poursuivre leur politique de « libre marché ».

Aujourd’hui, un prochain gouvernement contrôlé par les militaires, sous prétexte de rompre avec le « système », pourrait ainsi poursuivre, voire renforcer, les privatisations et les mesures d’austérité. Depuis l’an 2000 il y a eu des dizaines de milliers de manifestations contre la hausse de prix de l’alimentation, le chômage et la corruption généralisée – les mêmes causes des manifs de ce printemps 2019. Le sud algérien a été secouée par des grèves dans les installations petrolières. Mais elles ont été suffoquées grâce á l’isolement relatif, et des primes et bons fournis par la régime. La même stratégie de cooptation et répression pourrait être suivi aujourd’hui.

Les deux principaux partis du gouvernement, le Front de libération nationale (FLN) et le Rassemblement national démocratique (RND) sont largement discrédités. C’est aussi le cas des partis d’opposition bidonne, basés surtout dans la Kabylie, le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) et le Front des forces socialistes (FFS). Ce dernier, malgré son nom, est un parti bourgeois partisan d’une « économie sociale de marché ». En plus il y a le Parti des Travailleurs (PT), faussement qualifié de « trotskyste », qui avait apporté un « soutien critique » à Bouteflika, soutien très peu critique envers sa politique de « réconciliation nationale » avec les islamistes.

Il faut souligner que ce système est conçu à la satisfaction du pouvoir militaire au cœur du régime. Le FLN est joué contre le RND, le FFS contre le RCD, tandis que le PT fournit des bruits de fond « anti-impérialistes », ainsi comme le faisait le parti stalinien pro-Moscou avant son effondrement. Néanmoins, tous sont discrédités. L’un des principaux arguments en faveur d’une réforme constitutionnelle est qu’il est grand temps de réduire le pouvoir présidentiel. Mais un système parlementaire plus traditionnel serait également sujet à la manipulation par les généraux, et toute prétention de réaliser la « démocratie » dans le cadre semi-colonial sera illusoire.  

Actuellement, ces trois partis d’opposition diffusent le slogan d’une assemblée constituante afin de refaire la Constitution. Ils répandent ainsi délibérément des illusions sur le rôle de l’APN. Le 30 mars, le premier secrétaire du FFS déclarait que l’armée doit « se plier à la volonté de l’écrasante majorité du peuple algérien », qu’elle « devra … être garante du bon déroulement de la transition démocratique et ne pourra en aucun cas influencer ses tenants et aboutissants ». Mais alors, aucune de ces parties n’a jamais été un véritable adversaire du « système ». En fait, Louisa Hanoune, la principale dirigeante du PT, avait précédemment convoqué Bouteflika lui-même en 2004 pour organiser un congrès national afin de former une assemblée constituante !

Les sociaux-démocrates du Parti socialiste des travailleurs (PST), historiquement associés au Secrétariat Unifié d’Ernest Mandel, se joignent à ces fraudes. Comme leurs co-penseurs français qui ont fondé le NPA (Nouveau Parti anticapitaliste), ils ont abandonné leur rhétorique « trotskyste » pour un réformisme plus traditionnel. Le PST ne prétend même pas que l’assemblée constituante sera la première étape vers une forme de « socialisme ». Pour eux, le dernier arrêt de leur ligne de tramway s’appelle « assemblée constituante souveraine et représentative de nos aspirations démocratiques et sociales » (Déclaration du PST, 21 d’avril).

Pire encore, le PST concocte des raisonnements pseudo-marxistes sur la manière dont le corps des officiers bourgeois pourrait devenir partie prenante de la « révolution ». Ainsi un article sur le site du PST, « Le débat juridique et l’enjeu de la transition » (28 mars), envisage la possibilité « des conditions politiques permettant que les forces populaires puissent faire entrer la plupart des forces armées dans les rangs de la révolution … permettant au pays de passer du régime militaire à un gouvernement civil démocratique ». Illusion dangereuse et jusqu’à suicidaire ! Ces anti-trotskystes préconisent une assemblée constituante sous tutelle militaire !!

En comparaison de ces sociaux-démocrates « constitutionnels » dociles qui visent jouer le rôle des Kadets dans la Révolution Russe, même la revendication d’un « gouvernement révolutionnaire véritablement démocratique et populaire » de part des vestigiaux staliniens à Alger Républicain (3 avril) semble bien plus à gauche.

Lors des élections pour le deuxième mandat de Bouteflika en 2004, nous de la Ligue pour la Quatrième Internationale avions écrit que dans un pays comme l’Algérie, « dominé pendant des décennies par un régime autoritaire qui se veut inamovible, on ne peut pas exclure la possibilité de convoquer une assemblée constituante pour répondre à la soif de démocratie des masses travailleuses ». Nous soulignions, pourtant : « Mais pour que cela aura un contenu révolutionnaire, il faut auparavant établir le pouvoir révolutionnaire des travailleurs. » Non seulement cette condition préalable n’existe pas actuellement en Algérie, aujourd’hui la revendication d’une assemblée constituante servirait de couverture d’un régime militaire remanié subordonné à l’impérialisme. Comme nous l’avons précisé à l’époque :

« Une assemblée ‘démocratique’ sous domination bourgeoise peut-elle résoudre les problèmes linguistiques et régionaux brûlants qui ont secoué l’Algérie ou écraser les réactionnaires fondamentalistes islamiques ? Impossible ! C’est une illusion criminelle d’imaginer qu’une démocratie parlementaire stable puisse être établie dans un pays comme l’Algérie, où une couche minuscule de riches capitalistes et de bureaucrates corrompus, soutenus par l’armée, exerce sa domination sur les masses paupérisées au nom de l’impérialisme. L’armée ne sera pas exclue du pouvoir par une assemblée ‘démocratique’ impuissante; pour réaliser un contre-pouvoir de la classe ouvrière, il doit être organisé sur la base de conseils d’ouvriers et de paysans, de soviets et de leurs propres milices ouvrières – et ensuite les forces armées qui défendent le capital commenceront à se défaire. Le prolétariat doit lutter, avec une lutte de classe indépendante, pour que les droits démocratiques les plus larges fassent partie intégrante de la lutte pour le pouvoir prolétarien et non dans une tentative illusoire de parvenir à la ‘démocratie’ sans renverser l’État capitaliste ».
–« Algérie : élections truquées et résistance des travailleurs à l’offensive capitaliste », L’internationaliste n° 5, mai 2004

La classe ouvrière doit défendre tous les opprimé(e)s

Quelques semaines après le début du hirak (le « mouvement citoyen »), des drapeaux amazighs (berbères) sont apparus dans les manifestations, y compris dans la capitale. Un article paru dans El Watan (20 avril) évoque les tentatives avortées de la police de saisir ces drapeaux et de semer des divisions parmi les manifestants. Quel simulacre de « démocratisation » serait-il, qui s’avère incapable de s’opposer clairement et fermement à l’arabisation imposée par le gouvernement algérien ? Cette politique réactionnaire n’est pas seulement une négation brutale des droits démocratiques des Berbères, elle a toujours ouvert la voie aux réactionnaires islamistes. En 1999, Bouteflika s’est vanté que la langue tamazight ne serait jamais une langue officielle, que cette demande était un ballon qu’il ferait éclater.

Néanmoins, après la révolte en Kabylie en 2001, au cours de laquelle 130 personnes ont été victimes de la répression, l’année suivante Bouteflika a été obligé d’inclure le berbère comme langue officielle. Cela n’a toutefois pas été concrétisé, et il y a eu de nombreuses manifestations d’étudiants exigeant que l’enseignement du tamazight soit réellement financé. Au crépuscule de son règne, Bouteflika a reconfirmé le berbère en tant que « langue officielle » (mais pas une langue « d’état ») et a même fait de Yennayer, le Nouvel An berbère, un jour férié. Ce ne sont que des gestes symboliques plutôt vides.

Selon les mots de Lénine, les véritables révolutionnaires exigent « absolument aucun privilège pour une nation ou une langue » (« Notes critiques sur la question nationale », 1913). Nous de la LQI revendiquons l’égalité des droits pour l’arabe (y compris la langue populaire, par opposition à l’arabe littéraire), le tamazight et le français. Contre le poison du nationalisme, il est nécessaire de forger l’unité de toute la classe ouvrière algérienne précisément sur la base de la défense des Kabyles et de leurs droits démocratiques, y compris leur droit à l’autodétermination. Ce ne veut pas dire, pourtant, que nous nous prononçons á ce moment en faveur de l’indépendance de la Kabylie.

La répression de 2001 en Kabylie a provoqué la création du Mouvement pour l’Autonomie de la Kabylie (MAK - Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie). Après 2010, « Autonomie » est devenu « Autodétermination » lorsque le MAK a commencé à réclamer l’indépendance. Certains nationalistes amazighs conseillent maintenant de s’abstenir de la lutte en cours, en disant que les Kabyles étaient fortement impliqués dans la lutte pour l’indépendance de l’Algérie vis-à-vis de la France, sans pour autant aboutir à rien. Son calcul serait de former un petit état kabyle contre une majorité algérienne hostile (ou indifférente), ce qui suppose le patronage de l’une ou l’autre puissance impérialiste – une illusion suicidaire.

Il y a un autre courant indépendantiste, l’Union pour une République Kabyle, scissionné du MAK. Les deux organisations ont été cible d’une véritable chasse aux sorciers ces dernier temps, alors que les corps répressifs du régime ont réalisé des arrestations brutales (avec la complaisance des partis bourgeois comme le FFS et le RCD) à la suite de réunions indépendantistes. Il faut dénoncer fermement cette nouvelle vague d’attaques aux militants kabyles. Cependant, le Rassemblement pour la Kabylie, plus modéré, qui s’est séparé du MAK et cherche une solution fédérale négociée, présume de la bonne volonté du gouvernement central dans ce qu’il espère être une démocratie bourgeoise stable – une impossibilité dans un pays dominé par l’impérialisme. Une telle solution ne pourrait être envisagée que sous un état ouvrier.

La défense des droits de la femme est fondamentale à toute conception de la démocratie, mais elle ne figure pas dans les principaux mots d’ordres des partisans d’une « Deuxième République ». La lutte pour la libération de la femme est une question stratégique pour la révolution, en Algérie comme ailleurs. Les trotskistes exigent l’abolition du code de la famille paternaliste, la pleine égalité des droits entre hommes et femmes et la séparation complète entre la religion et l’état. Les homosexuels sont également victimes de l’ordre moral bourgeois. Un étudiant en médecine s’est fait égorger à Alger en février en tant que présumé homosexuel. Nous disons :   à bas les articles 333 de la Constitution qui proscrivent l’homosexualité !

Nous nous battons pour le droit à l’avortement le droit libre et gratuit, y compris pour les mineurs, et pour un système médical gratuit et de haute qualité, accessible à tous. L’intégration des femmes dans le travail social doit être facilitée par des mesures telles que des garderies gratuites 24x24 h et un salaire égal pour un travail égal. Ce n’est pas simplement une question de droits démocratiques, mais d’attaquer les racines mêmes de la réaction islamique. Seul le renversement du capitalisme et la mise en place d’un système économique planifié et collectivisé peuvent émanciper la femme de l’esclavage domestique. En fait, tous les droits démocratiques fondamentaux ne peuvent être assurés que par la révolution prolétarienne.

L’histoire algérienne depuis l’indépendance montre que le nationalisme bourgeois n’a conduit qu’à un régime bonapartiste, qui n’a ni brisé l’étau de l’impérialisme, ni mis en place un véritable développement économique, ni réalisé de gains démocratiques pour les femmes et d’autres secteurs opprimés. Ceci a confirmé de nouveau la théorie et le programme de révolution permanente de Trotsky, qui tiraient les leçons des révolutions russes de 1905 et d’octobre 1917 : dans les pays coloniaux et semi-coloniaux, comme c’est le cas de l’Algérie, une bourgeoisie faible est incapable de réaliser même les taches démocratiques bourgeoises, et il incombe à la classe ouvrière, dirigée par un parti bolchevique, de se placer à la tête de tous les opprimés pour accomplir les tâches démocratiques en instaurant la dictature du prolétariat, qui entreprendra des tâches socialistes.

Pour le trotskisme authentique en Algérie !

Le 2 mars, il a été rapporté dans la presse algérienne que Louisa Hanoune, chef du Parti des travailleurs, avait été chassée de la manifestation à Alger en tant que larbin de Bouteflika. Hanoune a participé aux négociations de Sant’ Egidio en 1995 et a signé une plate-forme commune avec le FLN, le FFS et les islamistes, « modérés » et extrémistes ensembles, soutenant la politique de « réconciliation nationale » de Bouteflika. Dans un article-portrait dans Jeune Afrique (22 avril 2016) on apprend que Bouteflika lui proposait un poste de ministre en 2000 et regrette beaucoup son refus. Comme les staliniens français vis-à-vis du front populaire de 1936, elle pensait sans aucun doute qu’elle pouvait être plus utile comme appui extérieur au gouvernement, un régime bonapartiste meurtrier.

Louisa Hanoune (Photo : El Watan)

Hanoune avait rencontré Gaïd Salah le 13 février 2014 et a ensuite publié un communiqué affirmant « la nécessité de préserver l’unité de l’institution militaire et sa cohésion face à toute tentative de division susceptible de nuire à la stabilité du pays et ouvrir la voie à une ingérence étrangère ». Le PT a ensuite fait l’éloge de « l’expérience prouvée de l’armée en matière de lutte contre le terrorisme, qui constitue une source de fierté pour le peuple algérien » (Algérie1, 15 février 2014).

Tous les discours du PT sur « la poursuite de la mobilisation révolutionnaire » et la mise en place de comités populaires pour préparer une assemblée constituante (rassemblant peut-être des listes de préoccupations et de revendications proposées initialement par Bouteflika) et l’opposition à l’ingérence militaire dans la politique ont l’air d’une tentative désespérée de ne pas se noyer avec un navire qui coule. Protégés du groupe français du défunt Pierre Lambert, qui ont abandonné le trotskysme et dégénéré en réformisme il y a plus de 40 ans, le PT est une formation social-démocrate jusqu’aux racines. Lors de la scission récente du Parti Ouvrier Indépendant (POI) lambertiste en France, le PT algérien s’est associé à la fraction de Gauquelin (Lacaze). La fraction Gluckstein, en la personne de l’historien Jean-Jacques Marie, se dit soudainement choquée, choquée par les singeries pro-Bouteflika du PT.

Les sociaux-démocrates libéraux du PST sont déjà en train de théoriser un nouveau régime militaire algérien. L’article cité plus en haut, apparu originalement en À l’encontre (30 mars), une revue théorique publiée par le NPA, sous le titre « Algérie. L’armée, le débat juridico-constitutionnel pour ‘une transition contrôlée’ et la dynamique du soulèvement populaire ‘anti-système’ », écrit par Nadir Djermoune et ensuite publié sur le site du PST, cite avec approbation le sociologue algérien Yazid Ben Hounet qui insiste sur le fait que l’armée algérienne n’est pas issue d’une ethnie distincte, comme l’armée syrienne, et ne constitue pas une « classe sociale distincte » comme en Égypte. La conclusion du sociologue, on ne rigole pas, est que le rôle actuel de l’armée « est celui d’un accompagnement de cette révolution pacifique, plutôt que celui de la répression ou de la confiscation de cet élan démocratique » 

Alors que milliers de manifestants scandent « Djeich – chaâb, Khawa – khawa » (peuple et armée ensemble, frêres – frêres), au lieu d’avertir que l’armée n’est pas un « ami du peuple », ces réformistes alimentent les illusions dangereuses. Le corps des officiers algériens est même favorablement comparé au Mouvement des Forces Armées des années 1970 au Portugal et la conclusion du militant de la direction nationale du PST est qu’on pourra envisager une « analogie partielle » avec un « scénario portugais ». En fait, l’opportunisme de l’« extrême gauche » à l’époque, qui se rangeait derrière diverses fractions militaires (pro-staliniennes ou avec les social-démocrates manifestement contre-révolutionnaires) avait contribué à anéantir une opportunité véritablement révolutionnaire dans laquelle la construction d’organes prolétariens de double pouvoir était posé concrètement. Mais la politique actuelle du PST est beaucoup plus à droite que les opportunistes des années 1970.

Les non-sens dangereux du PST sont repris dans la déclaration de solidarité du « Bureau Internationale de la Quatrième Internationale » (ancien S.U.), qui éloge la « souveraineté populaire » – un concept foncièrement anti-marxiste – et la « renaissance de la révolution algérienne ». À l’époque, au début des années 1960, l’appui des disciples de Mandel au FLN était justifié par l’affirmation selon laquelle les nationalistes petits-bourgeois construisaient un « gouvernement ouvrier et paysan » et allaient éliminer le capitalisme sous l’emprise d’un processus objectif « dynamique » inévitable. Mais cette « révolution algérienne » s’est révélée mythique. L’opportunisme objectiviste d’hier a fini par défendre la démocratie bourgeoise et propager des illusions sur une armée gagnée à une révolution pacifique.

Les masses algériennes ont désespérément besoin d’une direction révolutionnaire dotée d’un programme authentiquement trotskyste, qui comprend que pour gagner puis étendre les droits démocratiques, même élémentaires, il faut renverser le capitalisme avec des organes de pouvoir prolétarien. Au nationalisme bourgeois de la gauche opportuniste, un tel parti ouvrier révolutionnaire construit sur la base du programme bolchévique de Lénine et Trotsky opposerait l’internationalisme prolétarien, luttant pour une révolution socialiste qui s’étendrait dans tout le Maghreb jusqu’au cœur des centres impérialistes.

La révolution en Algérie doit également être liée à la lutte des travailleurs dans l’ancienne puissance coloniale, la France. Dans l’ancien métropole, toujours avide de maintenir son « sphère d’influence » en Afrique, il est crucial de lutter contre les divisions au sein de la classe ouvrière fomentées par le gouvernement raciste de Macron (et de ses prédécesseurs) et pour les pleins droits de citoyenneté pour les immigrés et le droit d’asyle pour ceux qui fuient la dévastation impérialiste.  L’unité révolutionnaire entre travailleurs français et algériens est décisive pour l’avenir de la lutte de classe dans les deux pays, ce qui souligne l’urgence de la lutte pour une Quatrième Internationale reforgée, parti mondial de la révolution socialiste. ■

Débarrassez la mainmise de l’UGTA sur la classe ouvrière !

Contre le « syndicalisme » d’état,
forger une direction révolutionnaire


Autour de 2 000 travailleurs de Société Nationale des Véhicules Industriels (SNVI) à Rouiba ont debrayé le 18 mars pour revendiquer le départ du leader de l'UNTA, Sidi Saïd, dire non à un cinquième mandat présidentiel pour Bouteflika, et réclamer le fin du  « système ».  (Photo : algerie-infos)

Actuellement, dans le cadre de la protestation déclenchée le 22 février contre un cinquième mandat présidentiel pour Bouteflika qui s’est devenue le hirak contre « le système », l’action de la classe ouvrière jusqu’à maintenant a été surtout d’appui aux manifs populaires plutôt que d’avant-garde de classe. Il y a eu des débrayages et des grèves autour de revendications particulières. Ce qu’il faut, pourtant, c’est une mobilisation de la force énorme des travailleurs pour balayer ce régime moribond et ouvrir la voie à une vraie révolution contre le système capitaliste. Le Premier Mai pourrait annoncer l’amorce d’une telle mobilisation. Ce qui compte alors sera la doter avec une direction révolutionnaire.

Les luttes ouvrières locales se sont multipliées ces dernières années, en particulier dans le sud. A condition qu’ils restaient localisés, le gouvernement a été prêt à les racheter en utilisant ses revenus pétroliers. Les manifestations qui commençaient en 2017 contre une augmentation de la TVA étaient plus préoccupantes pour la bourgeoisie. Puis, début 2018, il y a eu une grève des enseignants efficace, menée par des syndicats indépendants de la confédération officielle, l’Union Générale des Travailleurs Algériens (UGTA). Mais elle n’aboutit pas finalement, ayant été déclarée illégale. Une nouvelle grève dans le secteur de l’éducation était prévue pour cette année lorsque le mouvement contre la candidature de Bouteflika a éclaté.

Après trois semaines de manifestations, des appels anonymes à une grève générale ont commencé à circuler sur Internet. Dimanche 10 mars, aucun train, local ou longue distance, n’a quitté les gares d’Alger. Le métro, les tramways et les bus ont également été paralysés par des grèves. Les lycées à travers le pays ont été fermés par des grèves. Dans le port de Béjaïa, en Kabylie, la grève a été particulièrement efficace, y compris dans les écoles et les bureaux publics, mais également dans l’industrie alimentaire (usines de sucre et d’huile de Cevital). Cependant il n y avait pas de suite et le mouvement de grève ne suscitait pas un cadre organisationnel capable de l’étendre et généraliser.

Des grèves auraient également eu lieu sur les sites de la Sonatrach (société pétrolière d’État). Les travailleurs de la zone industrielle de Rouiba, près d’Alger, y compris à la SNVI, monteur des autobus et des automobiles, ont débrayé aussi. Une semaine plus tard, une grève au champ de gaz naturel Sonatrach de Hassi R’mel était confirmée. Le dimanche 24 mars, des employés municipaux du pays ont fait grève. Outre le départ de Bouteflika, les grévistes d’Alger, de Blida et de Constantine ont également réclamé des augmentations de salaire, ainsi que des améliorations dans les domaines de la santé, du logement et de l’éducation. Les grèves ont été renouvelées dans divers secteurs au cours de cette semaine. À partir du 29 mars dans le wilaya (préfecture) de Tizi Ouzou en Kabylie on déclenchait une grève dans les bureaux publics ainsi que des banques, des écoles et des stations-service Sonelgaz.

Un travailleur du complexe sidérurgique algéro-turc Tosyali tentait de se suicider quand la compagnie courtait encore plus la durée de son contrat à court terme, ce qui provocait une grève.  (Photo: Cap Ouest)

L’un des débrayages qui ne soit pas conséquence directe du mouvement anti-Bouteflika a été une grève « surprise » dans l’usine sidérurgique de Tosyali à Béthouia, près d’Oran. L’équipe du matin a commencé en signe de protestation contre une tentative de suicide d’un travailleur de l’usine après que la direction lui ait annoncé que son dernier contrat à court terme (son quatrième) durerait six mois au lieu d’un an. Des milliers d’autres travailleurs de l’usine ont des contrats à court terme similaires. Les travailleurs ont bloqué l’usine, arrêté le laminoir et fait circuler une pétition dénonçant la section locale de l’UGTA comme collaboratrice de la direction de l’usine. Ils ont également exigé une augmentation de 100% du salaire de base, des augmentations des primes individuelles et collectives et la fin des licenciements « abusifs ».

Reste à voir si les grèves pour soutenir le mouvement populaire vont déclencher une offensive de classe. Le chômage massif et la multiplication des contrats à court terme signifient que la classe ouvrière est sur la défensive. Malgré son militantisme, le prolétariat algérien a été trahi de toutes parts, n’ayant pas réussi à rassembler ses luttes dans une contre-offensive unifiée et de se présenter comme une alternative au régime, ni de montrer une sortie pour les masses plébéiennes, en particulier la jeunesse désespérée du pays. La principale raison de cet échec est la main morte de l’UGTA sur la classe ouvrière. Loin de mobiliser les travailleurs pour défendre leurs intérêts contre les attaques capitalistes, cet organisme corporatiste et son appareil corrompu ont été l’instrument d’un gouvernement après l’autre pour empêcher la lutte ouvrière.

UGTA : un obstacle à la mobilisation des travailleurs


Lors de la marche du 8 mars pour la Journée internationale des femmes, des manifestantes exigent le départ du président Bouteflika et fustigent aussi le chef de l'UNTA, Sidi Saïd.  (Photo : Ryad Kramdi / AFP)

Dans El Watan du 18 avril est apparu un article « Mobilisation historique des syndicalistes devant le siège de l’UGTA : Sidi Saïd prié de ‘dégager’ ». En revendiquant le départ de la  direction de la confédération, ils veulent nous faire croire qu’il y avait une dégénérescence de l’UGTA à partir de l’arrivée de Abdelmadjid Sidi Saïd, qui l’a transformée en simple appareil au service des patrons, et qu’il faut, maintenant, la remettre sur la voie tracée par ses fondateurs au service des travailleurs. Mensonge ! L’UGTA n’est pas un syndicat ouvrier né des luttes des exploité(e)s. Au contraire, c’est un obstacle pour les luttes de défense d’intérêts économiques  des travailleurs. C’est une émanation des nationalistes bourgeois et petit-bourgeois du Front de Libération Nationale dans la lutte pour l’indépendance, qui par la suite s’est intégrée à l’appareil de l’état comme organisation de masse du FLN (voir L’Internationaliste n° 5).

Bien que toutes les bureaucraties syndicales pro-capitalistes tendent à s’intégrer à l’état bourgeois à l’époque impérialiste, l’UGTA fait partie de l’engrenage de la machinerie de répression de la bourgeoisie pour empêcher la formation et croissance de syndicats de classe. La fin du monopole du FLN après 1988 ouvrit un nouveau champ de manœuvre aux bureaucrates de l’UGTA : dès lors, ils ont entretenu des liens avec les trois partis bourgeois qui intègrent le système : principalement le RND (qu’ils avaient aidé à fonder), le FLN et le RCD. Le système corporatiste est ainsi devenu plus flexible, mais n’a pas été aboli. Les syndicats concurrents étaient théoriquement admissibles mais, dans la pratique, ils étaient rarement enregistrés ; au mieux, ils sont simplement tolérés.

Sous Sidi Saïd (« Capitaine Madjid »), l’UGTA s’est d’abord mobilisée derrière la candidature de Bouteflika, puis s’est rangée derrière le général Gaïd Salah pour s’opposer aux manifestations. Certes, dans cette période troublée on a vu des manifestations de dissidence. En Kabylie, les sections locales de l’UGTA ont organisé des marches clamant des slogans tels que « À bas Sidi Saïd » et « Rendez l’UGTA aux travailleurs ». La manif du17 avril d’environ un millier de syndicalistes devant le siège de l’UGTA à Alger pour réclamer l’éviction de Sidi Saïd était soutenue par les représentants du PT. Pour justifier leur tournant, ces sociaux-démocrates officieux font appel au dogme de la social-démocratie française (la Charte d’Amiens) selon lequel les partis politiques se préoccupent des élections alors que les syndicats traitent de problèmes économiques, une distinction particulièrement absurde en Algérie.

Les syndicalistes cités dans l’article d’El Watan sont des militants du PT de Louisa Hanoune ; après avoir profité de tous les privilèges financiers et agit comme appendice parasitaire du régime, ayant soutenu toutes les cliques mafieuses bourgeoises de Boutef à Sidi Said, aujourd’hui, face à la révolte des masses, ils veulent redorer leurs blason en suivant le mouvement populaire. Cependant, les travailleurs, eux, n’ont pas de mémoire courte.

Le PT n’est pas seul dans la gauche de prétendre « démocratiser » l’UGTA. La Riposte, de la Tendance Marxiste Internationale de Allan Woods, dans son article du 29 mars annonçant que « La révolution algérienne à commencé ! » essaye de nous vendre également le mensonge que  UGTA est « le puissant syndicat ouvrier du pays » alors que son rôle réel a été d’étouffer les luttes des travailleurs.  Les mouvements pour réformer l’UGTA sont également soutenus avec enthousiasme par le PST. Ce n’est pas étonnant, puisque le PST fait lui-même partie intégrante de la bureaucratie de l’UGTA (bien que d’autres militants du PST sont des dirigeants des syndicats indépendants des enseignants).

Les prédécesseurs du PST ont même prétendu dans les années 1970, quand l’UGTA intégrait le régime du parti unique du FLN, que l’UGTA pourrait avoir une « direction de lutte de classe ». Il est franchement impossible de prétendre que l’UGTA n’est devenue que récemment un outil du gouvernement. Les réformistes remontent à Aissat Idir, l’un des fondateurs de l’UGTA pendant la guerre d’indépendance dans les années 50. L’UGTA a alors déclaré que sa tâche ne serait pas de défendre les intérêts de la classe ouvrière, mais plutôt d’être un instrument du mouvement nationaliste qui était en train de se transformer en une nouvelle classe dirigeante, de « passer du stade de la revendication à celui de la prise des responsabilités » (L’Ouvrier Algérien, 7 août 1962).

Aujourd’hui, le PST se joint à l’appel (du 22 avril) a faveur d’un « Grand rassemblement national le 1er mai à Alger pour réapproprier l'UGTA aux travailleurs et exiger le départ immédiat et sans condition du secrétariat national et de son S/G » Sidi Saïd. Un article sur le site web du NPA français, « Algérie : de la contestation dans l’UGTA et les grèves » (17 avril) fait référence à une « fronde » à l’intérieure de la confédération. Il y’aurait des secteurs dirigeants dissidents qui seraient prêts à jeter Sidi Saïd par-dessus bord, tout comme les généraux ont sacrifié Bouteflika. De plus, les sociaux-démocrates du PST relient leur appel pour réformer le « syndicat » d’état au programme maximal d’une assemblée constituante, sans une seule mention d’une lutte pour la révolution socialiste.

Si sous la pression de la rue et au cours de la lutte de classe convulsive une partie de la bureaucratie de l’UGTA se détachent et adhère à une organisation syndicale indépendant de l’appareil de l’état, ce ne sera pas grâce aux collaborationnistes de classe du PT et du PST. Et un tel pas soulignera plus encore la nécessité de forger une direction vraiment révolutionnaire.

Quant aux syndicats indépendants, qui bénéficient d’un certain soutien dans les secteurs de l’éducation et de la santé – ils se sont maintenant regroupés au sein de la Confédération des syndicats algériens (CSA), qui inclut même des imams en tant qu’employés de l’État – ils restent anémiques, et pas seulement en raison de leur statut semi-légal. Ils fonctionnent comme des auxiliaires plutôt que comme des ennemis irréconciliables de l’UGTA et sont ouverts au patronage de l’État. Nous notons en particulier que le SNAPAP reçoit une aide du Centre de Solidarité de l’AFL-CIO, qui fonctionne au niveau internationale comme une branche syndicale de l’impérialisme américain, financé directement par le gouvernement.

La question de l’indépendance vis-à-vis de l’Etat bourgeois n’est pas simplement une question tactique, mais un principe politique. Comme l’a souligné Trotsky, « à l’époque de la décadence impérialiste, les syndicats ne peuvent réellement être indépendants que dans la mesure où ils sont conscients d’être, en action, les organes de la révolution prolétarienne ». Pour de nombreux courants qui se réclament du trotskysme, c’est tout au plus une formule rituelle qu’ils citent dans des rares occasions quand ils veulent se donner une couverture de gauche alors qu’ils continuent leur travail quotidien réformiste.

Pour le prolétariat algérien, par contre, l’indépendance organisationnelle et politique vis-à-vis de l’état capitaliste et toutes les ailes de la bourgeoisie est décisive pour transformer la lutte contre le régime dans un mouvement pour la révolution ouvrière pour renverser le système capitaliste. C’est justement pourquoi la Ligue pour la Quatrième Internationale insiste sur la nécessité de forger le noyau d’un parti ouvrier révolutionnaire et internationaliste qui lutte pour un gouvernement ouvrier et paysan et l’extension de la révolution à tout le continent africain et à l’intérieure des métropoles impérialistes. ■