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mai 2007 

Après les présidentielles, l’offensive réactionnaire
contre les jeunes et les travailleurs

France : la droite dure au gouvernail

Pour vaincre Sarkozy, il faut en finir avec
les alliances de collaboration de classes
 

Les ambitions bonapartistes de Sarkozy... (Illustration: The Economist)

De la campagne présidentielle la plus épouvantable qu’ait connue la France depuis longtemps est sorti vainqueur le candidat qui incarnait le plus la surenchère électorale chauvine et l’acharnement patronal à en finir avec les minces acquis syndicaux qui subsistent encore après un quart de siècle de démantèlement de l’ « Etat providence ». Nicolas Sarkozy a été installé à l’Elysée pour proclamer le décès du « modèle français ». Erigé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale impérialiste pour conjurer le spectre de la révolution ouvrière, ce modèle cherchait à maintenir la « paix sociale » en concédant notamment tout un ensemble de services publiques et de mesures allégeant les conditions de travail. Avec la disparition de l’Union soviétique et l’affaiblissement des organisations ouvrières en Occident, les capitalistes croient avoir écarté pour toujours la « menace » du communisme qui a balayé toute l’Europe. Dorénavant, les patrons français veulent concurrencer sur le marché capitaliste mondial leurs rivaux américains, britanniques et japonais sans avoir à supporter les « charges » sociales jugées maintenant inutiles. L’heure est à la guerre de classe contre les travailleurs et toute la population considérée « improductive » (pour les profits !).

...doivent se heurter à une forte opposition de classe ouvrière. À droite : les grévistes  de PSA Peugeot Citröen à Aulnay-sous-Bois.

Le candidat des actionnaires du CAC40 et des multinationales françaises utilise son score électoral pour réclamer une légitimité sans appel afin d’opérer  la « rupture » qu’il prétend décréter à toute vitesse. La victoire de la droite dure dans les urnes est indéniable, produit d’un climat de réaction tous azimuts. Mais l’écart des voix entre Sarkozy (53%) et son adversaire Royal (47%) est moindre qu’en d’autres occasions sous la Ve République. En réalité, le nouveau président tient tous les atouts politiques en main parce que ni Royal ni les autres principaux candidats (Bayrou, Le Pen) n’avaient présenté de programme contraire. « Sarko » contre « Ségo » était une compétition entre deux postulants ayant la même politique fondamentale, et une majorité des électeurs a préféré l’original à la copie. Cette politique représente un consensus au sein de la bourgeoisie française, et la candidate « socialiste » était en fait celle d’une coalition bourgeoise, appuyée aussi par de petits partis capitalistes comme les Radicaux de gauche (PRG) et le Mouvement des citoyens (MDC) de Jean-Pierre Chevènement. Elue, Royal aurait installé un gouvernement pleinement capitaliste.

Comme toujours, ce front populaire de collaboration de classes avait l’objectif d’enchaîner les travailleurs à un secteur de la bourgeoisie. La responsabilité de cette politique n’incombe pas à la seule candidate du PS, issue d’une famille militaire coloniale, formée à l’ENA (Ecole nationale d’administration), représentante d’une « gauche caviar », suffisamment riche pour qu’elle et son compagnon doivent payer l’ISF (impôt de solidarité sur la fortune). C’est aussi celle des bureaucrates syndicaux, du PCF, des dirigeants des ONG qui faisaient campagne pour « Tout sauf Sarko », ainsi que celle des cinq candidats du premier tour des élections qui se situaient à la gauche du PS et qui ont pu ainsi récupérer les voix de travailleurs et d’habitants des cités pour l’élégante énarque front-populiste.

Si la campagne présidentielle a démontré la banqueroute d’une gauche parlementaire « social-libérale », elle a aussi mis à nu le cul-de-sac dans lequel se trouve une « extrême gauche » plongée dans le front-populisme. Olivier Besancenot, pour la LCR, a pu certes améliorer légèrement ses résultats, mais l’ensemble du vote de « la gauche de la gauche » a nettement régressé par rapport à 2002 du fait du « vote utile » en faveur du PS. Ce qui veut dire que cette « extrême gauche » n’est que la cinquième roue du front populaire (voir « L’ ‘extrême gauche’ française à la dérive », page 5).

Le tout-répressif de Sarkozy a gagné surtout à cause de l’absence d’alternative. Quand  il entonnait le refrain que les jeunes de banlieue « issus de l’immigration » doivent « aimer la France », Royal répondait que toute chaque famille devait avoir un drapeau tricolore dans son armoire. En plus, elle faisait chanter à ses partisans « La Marseillaise », avec son couplet sur le « sang impur » des étrangers qui devra « abreuver nos sillons » ! On n’avait pas vu déferler autant de xénophobie dans une élection depuis 1981, à l’époque où PCF faisait campagne sur « Produisons français » et envoyait un bulldozer démolir un foyer de travailleurs maliens dans sa municipalité de Vitry. Dans leur grand débat télévisé du 2 mai, la candidate qui voulait incarner « La France présidente » a été réduite à une série de réponses « oui, mais ». Les expulsions massives d’immigrés, le refus d’une régularisation générale des sans-papiers, les peines de prison ferme et les  régimes de discipline militaire pour les jeunes ? Elle était d’accord sur tout, essayant même parfois de le doubler sur la droite. Elle promettait seulement de réaliser ces mesures draconiennes « plus humainement ».

L’homme à cheval blanc en Camargue. George Bush à la française... ou le général Boulanger? (Photo: AP)

Constater l’identité fondamentale des programmes de Sarkozy et de Royal n’oblige nullement à sous-estimer le danger que représente le président nouveau élu. Ses prédilections napoléoniennes sont évidentes pour tous, comme en témoigne la manchette même de l’Economist (14 avril) qui le proclame « la chance de la France ». Il a affiché aussi sa vocation bonapartiste dans l’étrange spectacle qu’il a offert durant la campagne en s’exhibant devant les caméras sur un cheval blanc en Camargue. S’il essayait ainsi de ressembler à George Bush, plutôt qu’un cow-boy français il donnait l’impression d’imiter le général Boulanger, l’homme à cheval qui s’était posé en sauveur de la République alors qu’il voulait l’anéantir sous un régime militaire. Mais si le boulangisme était voué à l’échec et sa « figure de proue » faisait un peu ridicule avec ses discours belliqueux, le sarkozysme promet d’être plus dangereux. Quand il qualifie les jeunes de banlieue de « racaille » et de « voyous » et qu’il promet de « nettoyer au Kärcher », on sait bien que les policiers sont tout à fait prêts à mettre à exécution ses menaces.

Lors des premiers affrontements de protestation de novembre 2005  suite à l’électrocution de Bouna Traore et Zyed Benna poursuivis par des flics, la réponse policière ordonnée par Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, a été d’encercler les cités de « banlieue » et d’y imposer un état de siège. Chirac le généralisera ensuite en proclamant un état d’urgence avec des décrets (n° 1386 et 1387) qui donnaient aux préfets des pouvoirs presque illimités. Ce sont là des préparatifs pour la guerre civile, et si la gauche parlementaire et l’« extrême gauche » électorale n’ont pratiquement rien fait pour combattre ces mesures, c’est une preuve de leur impuissance face au danger sarkozyste. Pendant la récente campagne, le 27 mars, une intervention policière musclée à Gare du Nord contre un usager qui fut accusé (d’ailleurs à tort) d’être « en situation irrégulière » a soulevé des protestations qui furent dépeintes dans les médias comme des « violences » pour alimenter la campagne « sécuritaire » de Sarkozy. Tout comme sa chasse aux sans-papiers, traqués comme de dangereux malfaiteurs à grands renforts de police, sous l’œil complaisant des caméras de télé chargées de publiciser ses « exploits ». Comme Berlusconi en Italie, autre politicien aux ambitions bonapartistes semblables, Sarkozy est pleinement capable de fabriquer un casus belli pour s’emparer d’un pouvoir absolu.

Mais entre être capable de le faire et pouvoir l’achever avec succès, il y a tout un parcours à faire. Un politicien comme Sarkozy, qui veut identifier des « gênes de la délinquance » à l’âge de trois ans et qui introduit une loi pour droguer les enfants ainsi « identifiés », a certainement vocation à instituer un régime autoritaire. Il y a aussi la tendance quasiment universelle parmi les bourgeoisies impérialistes et semi-coloniales d’introduire des mesures d’Etat policier au nom du combat contre le terrorisme. Mais, même avec tout leur appareil répressif, leur contrôle des médias et leur prétendue légitimation sortie des urnes, ils peuvent être battus par une mobilisation ouvrière beaucoup plus puissante. Quand, en mai 1968, le gouvernement allemand de grande coalition a voulu introduire des lois d’Etat d’urgence (Notstandsgesetze), il a dû reculer devant les énormes manifestations de centaines de milliers d’étudiants et travailleurs appelées par les syndicats jusqu’alors plus que complaisants. Mais, par-dessus tout, pour que les projets de réformes antiouvrières de Sarkozy et ses mesures répressives se heurtent à une résistance effective, tout dépend d’une direction vraiment révolutionnaire, inexistante à ce moment et qu’il faut forger.

Sarkozy se présente comme un partisan convaincu du libéralisme économique et trouve le code du travail actuel trop rigide car ne permettant pas de licencier la main-d’œuvre aussi facilement que le voudrait le patronat. Il veut réformer, c’est-à-dire détruire le modèle de sécurité sociale existant, faussement accusé d’être à l’origine du déficit budgétaire de l’Etat, alors que les exonérations de charges et aides publiques au profit des grosses entreprises privées ont atteint plus de cent milliards d’euros ces dernières années. Bien qu’ayant été discret lors de l’introduction du Contrat première embauche (CPE) en 2006 (surtout pour affaiblir son rival potentiel, le premier ministre Dominique de Villepin), il est certain qu’il a des propositions encore pire, prêtes à être sorties des tiroirs. Il n’y a pas de doute que les groupes capitalistes qui le soutiennent veulent pousser Sarkozy à devenir un « « Margaret Thatcher » ou un « Ronald Reagan » à la française. Certain aussi que le Parti socialiste, maintenant en plein désarroi, dont la candidate avait proposé un « Contrat première chance à l’embauche », presque identique à celui de De Villepin, n’offrira aucune opposition réelle. Que faire alors ?

Provocation policière à Aulnay-sous-Bois la nuite du 6 mai. Où en était la défense ouvrière des jeunes ciblés par les flics ? Personne l'organisait.
(Photo: Freddy Muller pour Le Monde)

Il faudra intervenir dans les luttes des travailleurs, des jeunes et des immigrés afin de les préparer et de les orienter pour une confrontation inévitable avec le pouvoir. Pendant la campagne électorale, ce ne sont pas les possibilités de le faire qui ont manqué. La grève de six semaines à PSA-Aulnay (menée par des travailleurs en grande partie issus de l’immigration) était une opportunité parfaite. Leur revendication de 300 d’euros d’augmentation de salaire pour tous pouvait être reprise par de larges couches de travailleurs. Cette grève se déroulait dans un département (la Seine-Saint-Denis) où vit et travaille une importante population ouvrière et immigrée. Plusieurs villes du département, dont Aulnay elle-même, avaient été les cibles de provocations policières. On aurait pu mobiliser les grévistes pour étendre la grève aux autres usines et entreprises non seulement du groupe PSA mais aussi de la région. Il fallait organiser des comités de soutien et des rassemblements de solidarité dans toutes les villes du département, englobant des travailleurs et des jeunes, des hommes et des femmes des quartiers, pour manifester sur Paris. Mais, au lieu de cela, les directions syndicales ont mené cette grève comme une lutte de routine. Et quand, la nuit du 6 mai, à la suite de l’annonce de la victoire de Sarkozy, les policiers ont lancé une provocation contre une foule paisible, ni les syndicats, ni les partis de gauche PS et PCF, ni les organisations d’« extrême gauche » n’ont appelé aux travailleurs à aller au secours des jeunes et des habitants des HLM.

Au même moment, le mécontentement s’amplifiait chez les travailleurs d’Airbus frappés par les licenciements annoncés (le Plan Power 8) et indignés par le « parachute doré » de 8,5 millions d’euros que recevra le patron d’EADS, alors qu’eux percevront, en tout et pour tout, une prime de... 2,82 euros ! Il y a eu des débrayages étalés dans le temps, d’abord à Toulouse, puis - après que celui-ci eut été éteint - dans les usines d’Airbus à Nantes et Saint-Nazaire. C’était juste à la veille du second tour. Un mouvement d’occupation des usines aurait dû être lancé, partant des revendications des travailleurs d’EADS pour être étendu à des secteurs voisins. C’est ainsi qu’un véritable parti bolchevique-léniniste mènerait une campagne électorale.

Face à la conscience répandue du danger que représente Sarkozy, il faut agir dans la perspective d’une mobilisation ouvrière (entraînant notamment la jeunesse) laquelle, pour vaincre, devrait prendre les proportions d’un nouveau Mai 68 ... qu’ira jusqu’au bout : l’installation d’un gouvernement ouvrier. De fait, l’une des usines Airbus en question était l’ancienne Sud-Aviation de Nantes qui avait été la première à se mobiliser lors de la grève générale de 1968. Mais même des groupes d’extrême gauche qui font de la grève générale un mot d’ordre constant (et mythique) n’ont rien fait pour utiliser ces opportunités. Pourquoi ? Parce que personne ne voulait ruiner les chances électorales de Royal. Absolument tous étaient soumis à la discipline du front populaire.

Ce qu’il faut faire, c’est d’engager la lutte pour forger le noyau d’un vrai parti ouvrier d’avant-garde révolutionnaire. Ce parti doit tirer les leçons des luttes passées et sabotées, et les leçons de cette campagne, comme des antérieures, notamment celle de 2002, quand la totalité de la gauche, directement ou indirectement, soutenait Chirac contre Le Pen. Le parti qu’il faut construire doit rompre totalement avec le front populaire afin de pouvoir lutter pour l’indépendance de classe du prolétariat, au lieu de multiplier les manœuvres électorales à l’ombre des coalitions de collaboration de classes.

Ce parti doit être un parti internationaliste, qui non seulement critique les interventions militaires néocoloniales, notamment en Afrique (où la cellule africaine de Mitterrand a été impliquée dans le génocide au Rwanda), mais qui se bat à tout moment pour le retrait des troupes françaises du Liban et l’expulsion du corps expéditionnaire d’Afghanistan. Au-delà de s’opposer à l’occupation nord-américaine de l’Irak, ce parti doit lutter pour la défaite de sa propre bourgeoisie impérialiste. Ce parti ne peut être un parti de « tous les révolutionnaires » ou autres formules qui indiquent un parti amorphe sans politique claire. Seul un parti bolchevique-léniniste, authentiquement trotskyste, construit dans la lutte pour reforger la Quatrième Internationale, sera capable de mener à bien la lutte qui s’annonce contre un régime aussi déterminé que celui de Sarkozy.

L'’ « extrême gauche » à la dérive

I : La LCR vote pour Royal « en se pinçant le nez »

Les candidats étiquetés comme étant d’extrême gauche ou trotskystes n’ont pas non plus adopté une politique plus conséquente d’opposition à l’énième candidature de front populaire du Parti socialiste (PS). Olivier Besancenot, candidat de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), qui, avec 4,08% des suffrages, a terminé « en tête » des candidatures se situant à gauche du PS, a certes mené une campagne plus dynamique que les autres, qui étaient plutôt moribondes. Se vantant d’être « 100% à gauche » du PS, la LCR, qui se targue de 3 000 militants, a cherché à gagner une audience auprès de ceux qui étaient insatisfaits de l’offre de Ségolène Royal sur le marché électoral. Cependant, Besancenot a saisi chaque occasion pour souligner qu’au deuxième tour des présidentielles son parti appellera à voter pour la candidate socialiste : « La LCR n'a jamais fait la politique du pire », déclarait-il à Libération (14 avril). « Dans le passé, soit la LCR a appelé à voter à gauche directement en se pinçant le nez, soit elle ne le faisait pas sans pour autant appeler à l'abstention, en disant au PS : ‘Allez gagner nos voix au second tour, on ne vous empêche pas de le faire.’ » Cette fois, il l’a fait à 20h30 précises le soir du premier tour, de telle manière que personne n’ait le moindre doute sur la consigne à suivre :

« Le 6 mai nous serons du côté de ceux et celles qui veulent empêcher Nicolas Sarkozy d’accéder à la présidence de la République. Il ne s’agit pas de soutenir Ségolène Royal mais de voter contre Nicolas Sarkozy. »

Comme il était évident dès le départ qu’elle allait le faire au moment décisif, la LCR a voté pour la candidate du front populaire (coalition de collaboration de classes), même si c’est en se « pinçant le nez ». Pour cela même, il fallait ne pas voter Besancenot. En plus, elle n’a jamais signalé le fait que Royal était aussi la candidate des petits partis bourgeois comme le PRG (Radicaux de gauche) et le MDC chevénementiste. Pour les opportunistes confirmés de la succursale française du « Secrétariat unifié de la Quatrième Internationale » (SU), suivant la ligne politique de feu Ernest Mandel, refuser de voter pour un candidat ou une formation politique bourgeois n’est pas une question de principe, comme il devrait l’être pour tout trotskyste. Pas du tout. Dans sa déclaration, Besancenot a prétendu que « depuis cinq ans la LCR combat la politique de Chirac et de ses premiers ministres dans la rue comme dans les urnes ». Mais, en avril 2002, le bureau politique de la LCR affirmait que « nous comprenons les électeurs qui votent Chirac pour s’opposer à Le Pen ». Et, dans la rue, sous le mot d’ordre « Tous ensemble contre Le Pen », la LCR organisait « un appui extraparlementaire au ‘Front républicain’ en faveur de Chirac, tout en recouvrant cet appui d’une feuille de vigne transparente d’indépendance’ vis-à-vis du candidat du grand capital », comme nous l’avons écrit à l’époque (voir supplément de L’Internationaliste, mai 2002).

Ségolène Royal, candidate du PS, PRG et MDC, au piquet de grève à l’usine PSA Peugeot Citröen à Aulnay-sous-Bois, le 2 avril. Pour vaincre Sarkozy il faut rompre avec le front populaire de collaboration de classes. (Photo: Michel Euler/AP)

Il est vrai qu’avec la candidature de Besancenot, la LCR a su gagner un public parmi certaines couches de la jeunesse. Il aurait recueilli jusqu’à 10% des votes de l’électorat des 18-24 ans, et 1,5 millions de voix n’ont rien de négligeable. Les salles de réunion dans les facs et dans plusieurs villes étaient combles : 1 800 personnes à Caen, 2 100 à Grenoble, 2 700 à Toulouse... Le candidat s’est rendu dans les cités de « banlieue », ainsi qu’aux piquets de grève aux usines PSA Citroën à Aulnay, Phillips à Dreux, etc. Mais Ségolène Royal l’a fait aussi, et les scores de Besancenot dans les départements autour de Lyon et Paris, avec ses fortes populations ouvrières et « issues de  l’immigration », n’ont guère dépassé sa moyenne nationale de 4%. Mais, que dit-il aux jeunes étudiants, aux travailleurs en grève, aux habitants des HLM, et surtout qu’a fait la LCR pendant sa campagne ? En réalité, elle a été aussi électoraliste que celle du PS. Dans une visite aux jeunes des quartiers, dont témoigne un film officiel de la campagne, on parle des discriminations racistes envers les jeunes dits « issus de l’immigration » même s’ils sont nés en France ; mais sur ce qu’il faut faire, seules sont mentionnées la campagne électorale, les candidatures. Quant aux mobilisations dans la rue contre les violences policières, à la lutte contre la précarité et pour les emplois et des contrats de durée indéterminée, rien !

C’est le cas aussi pour toutes les luttes extraparlementaires qui devraient figurer au centre d’une véritable campagne bolchevique. Soudain, juste après le premier tour, Rouge (27 avril) a affiché les titres « Mobilisation générale » et soulevé le mot d’ordre « Troupes hors d’Afghanistan ! » Mais, pendant les dix derniers  mois, de tels mots d’ordre et appels à l’action avaient disparu des pages de l’hebdomadaire de la LCR. (Tout au plus, y avait-il des dénonciations des massacres américains en Afghanistan - presque rien contre les forces françaises de l’OTAN.) En fait, depuis l’entrée des troupes françaises au Liban fin août 2006, pour servir de gardes-frontière à Israël (après l’échec de l’invasion sioniste le mois précédent) et pour épauler le gouvernement libanais de Siniora, on cherche en vain dans Rouge des appels au retrait des troupes françaises de cet Etat artificiel créé par l’impérialisme français comme rempart chrétien (à l’époque) pour mieux contrôler la Syrie. Pourquoi ? D’abord parce que les pseudo-trotskystes mandéliens ont observé une trêve électorale sur ces questions. Ensuite parce qu’ils auraient voulu y voir des forces françaises pour « maintenir la paix » et les « droits humains » si elles avaient affiché une « indépendance » (fictive) à l’égard de l’impérialisme américain, comme ils le demandaient au Kosovo avant les bombardements de l’OTAN en 1999.

Tout en dénonçant la politique « social-libérale » de Royal, les mesures proposées par Besancenot dans son programme « d’urgence », qui était au cœur de sa campagne, se différenciaient surtout quantitativement de celles de Royal. Lui proposait un SMIC net  à 1 500 euros dans l’immédiat ; elle suggérait un revenu minimum de 1 500 euros brut dans cinq ans. Pour le reste, la LCR a repris le « programme d’urgence » que défend Lutte ouvrière depuis 1995 ; ses principales revendications se résument en gros à une augmentation générale des salaires de 300 euros, une semaine de travail de 32 heures, l’interdiction des licenciements (dans toutes les entreprises pour la LCR, seulement dans celles qui font des profits pour LO), l’ouverture des livres de compte des groupes capitalistes et la réquisition des logements vides. Sans même parler de la proposition d’interdire par la loi les licenciements (qui est sous le capitalisme une illusion réformiste), c’est loin d’être un programme révolutionnaire. Le candidat lui-même soulignait que pour la « redistribution des richesses » qu’il préconise, il aura besoin d’« une mobilisation équivalente à 1936 ou Mai 68 ». Mais ces mobilisations-là étaient des opportunités révolutionnaires ratées, ou plus exactement sabotées, et les acquis que l’on a gagnés étaient le prix que les capitalistes étaient disposés à payer pour éviter une révolution sociale.

En réalité, la LCR n’a rien à voir avec l’authentique trotskysme ; sa politique est celle d’un parti social-démocrate réformiste de gauche. Olivier Besancenot se définit comme un « militant révolutionnaire … plus que comme un trotskyste ».Et, comme le résume Libération, « sa révolution ? Plutôt Mai 68 qu’octobre 1917. ‘300 euros de plus par mois, c’est 30 % d’augmentation des salaires ; la dernière fois qu’on a obtenu ça, c’était en 1968’ ». Vouloir répéter seulement Mai 68, c’est envisager une nouvelle défaite pour la classe ouvrière, la jeunesse et tous les opprimés. Un Mai 68 qui va jusqu’au bout, c’est totalement autre chose : non pas une augmentation générale des salaires mais le renversement du capitalisme par la révolution socialiste. Le programme que le candidat de la LCR a présenté au cours de sa campagne électorale peut se résumer dans la défense des acquis sociaux et de l’« Etat-providence », contre le « modèle néoliberal » de Sarkozy et sa version « light » social-démocrate de Royal. Les pseudo-trotskystes refusent de voir que ces institutions et programmes sociaux étaient « acceptés » par les capitalistes, en grinçant des dents, comme étant le prix qu’ils devraient payer pour combattre « le danger communiste » pendant la Guerre froide antisoviétique. Avec la chute de l’Union soviétique et la destruction des Etats ouvriers bureaucratiquement déformés de l’Europe de l’Est entre 1989 et 1992, et l’affaiblissement concomitant du mouvement ouvrier dans les pays impérialistes, ils ne sont plus disposés à tolérer cette « dépense sociale » jugée désormais « inutile ».

Il n’est plus possible aujourd’hui de restaurer le « modèle français » version social-démocrate d’un capitalisme dirigiste, avec de grands programmes de constructions de logements sociaux et d’autoroutes, qui avait pour but de préserver la « paix sociale » (et d’enrichir les grands patrons de la construction et du bâtiment). Avec la croissance des dépenses de retraite d’une population vieillissante, la classe dirigeante est déterminée à les faire payer totalement par les travailleurs. Toute prétention qu’un « autre monde est possible » sans renverser le capitalisme est un mensonge dangereux, parce qu’il risque de détourner les luttes des objectifs révolutionnaires pour les canaliser dans le trompeur jeu électoral bourgeois.

En battant campagne plus à gauche que Lutte ouvrière, Besancenot et la LCR ont pu mieux résister à la pression du « vote utile » en faveur de la candidate PS. Mais qu’on ne s’y méprenne pas, le « tournant à gauche » n’aura duré que le temps d’une campagne. Il n’y a là rien de surprenant pour quiconque connaît l’historique cette organisation opportuniste. A la suite de la victoire du « non » au référendum sur le traité de constitution européenne en mai 2005, la LCR a pendant des mois participé aux côtés du PCF, des partisans de José Bové et d’autres forces petites-bourgeoises, à des « comites antilibéraux » dont l’objectif était de désigner un candidat unique pour représenter à l’élection présidentielle le « non de gauche » (pour distinguer de celui de Le Pen). Mais les « nonistes de gauche » engageaient aussi des formations bourgeoises comme les Verts ou les chevènementistes du MDC, en plus des politiciens antiouvriers du PS tel Laurent Fabius (le père du « sale boulot » de la rigueur, le premier ministre du sang contaminé). En d’autres termes, la LCR était prête non seulement à s’effacer mais aussi à battre campagne pour un candidat front-populiste, à la seule condition que ce candidat désigné par les comités s’engage à avoir une politique indépendante du PS. Participer à ces fameux comités bidons revenait à une farce, car demander au PCF de renoncer à son alliance avec les sociaux-démocrates revient à lui demander de se suicider politiquement.  

Une fraction droitière de la LCR dirigée par Christian Piquet, qui représente plus d’un tiers des effectifs de la Ligue, a d’ailleurs fait fi de la décision tardive de la direction de se retirer des « comites antilibéraux » pour continuer à rechercher l’unité à tout prix. Certains ont carrément fait campagne pour José Bové, le leader de la Confédération paysanne, qui s’est rallié à Ségolène Royal au soir du premier tour. (Cette tendance 3 s’est plainte que pour le second tour la LCR n’ait pas sorti un appel explicite à voter Royal.) Du côté de la majorité, les choses ne sont pas mieux : cherchant à en tirer profit de son relatif succès électoral, Besancenot appelle à la formation d’un grande force politique anticapitaliste à la gauche du PS. C’est là la vieille politique mandélienne de former des partis de l’« avant-garde large » dans lesquels pourraient cohabiter toutes sortes de centristes, bureaucrates syndicaux « progressistes », antilibéraux petits-bourgeois, staliniens et sociaux-démocrates réformistes. Cette politique, qui a été la pièce maîtresse de la stratégie de Mandel et de ses épigones dès les années 1980, a déjà porté ses fruits, avec le Parti des travailleurs (PT) brésilien... qui a exclu des partisans du SU pour n’avoir pas voté la privatisation des retraites (alors que d’autres mandéliens sont restés dans le cabinet de Lula). Et aussi en Italie, où ils viennent d’être exclus de Rifondazione Comunista pour avoir refusé de soutenir le gouvernement Prodi sur la question des troupes italiennes en Afghanistan.

II : LO – La candidature d’Arlette Laguiller à bout de souffle

L’autre grand groupe se réclamant du trotskysme, Lutte ouvrière (LO), qui compte 1 000 militants et plusieurs milliers de sympathisants, bien implanté dans les entreprises, présentait pour la sixième (et dernière) fois consécutive Arlette Laguiller sur une base totalement économiste et réformiste. Le « programme d’urgence » qu’elle défend depuis plus d’une décennie, maintenant emprunté par la LCR, ne lie pas ses revendications économiques immédiates (augmentation de salaire de 300 euros pour tous, SMIC à 1 500 euros net) à des revendications transitoires montrant la nécessité de renverser le système capitaliste. Laguiller admet que « ce programme ... n’a rien de révolutionnaire en ce sens qu’il ne prévoit ni l’expropriation du capital, ni la transformation de la propriété privée de l’ensemble des grandes entreprises en propriété collective, en propriété d’Etat ». Elle insiste que ces mesures simples seront « parfaitement réalisables » et donne une comptabilité précise que les 750 000 postes supplémentaires dans la fonction publique et la construction annuelle d’un million de logements ne coûteront que 131,50 milliards d’euros - ce qui pourrait être facilement financé en éliminant des subventions aux entreprises, en rétablissant le taux d’impôt sur les bénéfices à 50%, etc., sans toucher apparemment même au budget militaire. C’est vraiment un « programme minimum » réformiste pour un pays impérialiste qui aurait pu être avancé par n’importe quel social-démocrate des années 40 ou 60 !

Le “pompier pyromane” à l'Assemblée Nationale, le 16 novembre 2005. LO s’est faite écho des injures racistes de « voyous » lancées par Sarkozy contre les jeunes révoltés de banlieue. (Photo: François Mori/AP)

En prétendant que son programme à l’élection présidentielle ne sera rien d’autre que « les premières mesures d’une présidence et d’un gouvernement vraiment socialistes » dans le cadre d’un régime capitaliste, LO se présente comme un groupe de pression à la gauche du PS. Elle abandonne ainsi toute possibilité d’intéresser la frange des travailleurs qui sont à la recherche d’une voie radicale pour en finir avec le système. LO, qui axe principalement son activité sur l’intervention au sein des grandes boîtes industrielles, a été totalement à l’écart des luttes réelles de ces dernières années, notamment le soulèvement des jeunes « de banlieue » contre la violence policière et le racisme étatique en novembre 2005 et les millions de manifestants qui ont obligé le gouvernement de Villepin à retirer l’odieux Contrat première embauche (CPE) en mars 2006. Pire encore, au lieu de défendre la révolte justifiée de la jeunesse « de banlieue », LO s’est faite écho des injures racistes de Sarkozy contre les « voyous », en dénonçant les « trafiquants » et « petits caïds de quartier » qui auraient « aujourd'hui le soutien d'une bonne partie des jeunes » (Lutte Ouvrière, 4 novembre 2005) ! C’est logique de la part d’un parti qui exprime sa sollicitude pour les policiers et qui, non seulement a soutenu la loi raciste du 15 mars 2004 contre le port du foulard islamique (hidjab) dans les établissement scolaires, mais dont les enseignants ont déclenché toute l’affaire avec une campagne pour l’exclusion de deux lycéennes d’origine immigrée à Aubervilliers.

Arlette Laguiller a rendu visite aux travailleurs en lutte de PSA à Aulnay-sous-Bois, comme d’ailleurs la plupart des candidats de gauche mais, en fait, sa campagne a tourné le dos à de larges couches du prolétariat. Au finish, les ouvriers et les jeunes les plus radicalisés ne se sont pas retrouvés dans sa politique économiste, et ont souvent préféré les propos plus combatifs de Besancenot, alors que la majorité des travailleurs les plus modérés se sont rabattus sur le « vote utile » en faveur du PS. LO a perdu les uns et les autres, et s’est effondré en obtenant un peu plus de 400 000 voix (1,33%), contre plus de 1 600 000 en 2002. Est venu ensuite le moment de vérité. En 2002, LO « n’avait alors pas donné de consigne de vote au deuxième tour, et – ses dirigeants l’admettent aujourd’hui – la consigne était mal passée auprès des sympathisants. ‘Il ne faudrait pas que l’électorat populaire puisse reprocher à notre campagne d’avoir fait perdre la gauche. En 2002, beaucoup nous en ont accusés’, reconnaît leur bulletin interne » (Le Monde, 13 avril). Cette fois, Laguiller a souligné à maintes reprises que le sens de sa candidature était d’« avertir Ségolène Royal » qu’« elle n’a pas un chèque en blanc ». Et le 22 avril, à 21h précises, la candidate de LO annonçait : « Je voterai donc pour Ségolène Royal. Et j’appelle tous les électeurs à en faire autant », ajoutant que « c’est uniquement par solidarité avec tous ceux qui, dans les classes populaires, déclarent préférer ‘tout sauf Sarkozy’ ». Du suivisme parfait, alors.

L’appel de Laguiller à soutenir Royal, même sans « illusions », quelques minutes après la publication des premières tendances, a bien entendu provoqué des grincements de dent parmi les militants et sympathisants les plus conscients de LO. Quand « Arlette » a rencontré « Ségolène » quelques jours plus tard, quelques participants au Forum des Amis de Lutte Ouvrière voulaient croire au début à une « intox » de Libération, jusqu’à ce que Reuters confirme la nouvelle. La justification (prétexte) d’un tel tournant - ne pas se couper des travailleurs qui désirent battre Sarkozy - est si ridicule qu’elle a eu du mal à convaincre une partie des militants qui veulent baser leur politique sur une analyse marxiste, et non sur un suivisme béat de la direction. Cette évolution de LO  n’était pourtant ni imprévisible ni nouvelle : en fait, LO a soutenu le candidat du front populaire, François Mitterrand, en 1974 et  en 1981, utilisant les mêmes arguments fallacieux de solidarité avec les illusions des masses. C’est une expression accablante et logique de la politique économiste, marque déposée de LO en France, que Lénine avait déjà dénoncée et qui, au travers des secteurs les moins conscients du prolétariat, subit la pression de la classe dirigeante et au final vote pour le candidat de la coalition de gauche bourgeoise (qu’elle s’appelle « Union de gauche », « gauche plurielle » ou, dans le cas de Royal, rassemblement de la « gauche moderne du XXIème siècle »).

Quant à la « Fraction », la tendance minoritaire au sein de LO (qui, grâce aux pratiques social-démocrates antiléninistes de LO, agit comme « fraction publique »), elle a critiqué la méthode de ralliement de LO à Royal mais c’est finalement pour préciser qu’elle aurait voulu qu’une décision ne soit pas prise à la va-vite mais après une discussion plus réfléchie. Tout au plus, la fraction aurait souhaité un appel à Ségolène Royal la priant de venir chercher les électeurs d’extrême gauche là où ils se trouvent et d’ajuster sa politique en conséquence. Mais la « Fraction » ne rejette en aucun cas de façon inconditionnelle un soutien électoral à un candidat d’une coalition de front populaire. En fait, l’axe de la politique de la Fraction de LO (qui avait une convergence sur ce point avec des tendances publiques de la LCR) a été de vouloir un comportement plus « unitaire » de LO avec le reste de l’« extrême gauche », ce qui dans les faits signifie une ligne politique plus front-populiste que celle des dirigeants de LO. Eux, préfèrent une version plus solitaire de réformisme économiste. Pour le reste, la Fraction appuie la politique réactionnaire chauvine d’exclusion de LO sur le port du foulard.

Le troisième pilier de ce qui est habituellement considéré comme  l’« extrême gauche » en France, le Parti des travailleurs (PT), a lancé la candidature de Gérard Schivardi, ex-membre du PS et maire d’une petite commune rurale, qui s’est présenté comme « candidat des maires ». Suite à une plainte de la commission nationale de contrôle de la campagne électorale, il a dû changer son étiquette pour devenir le « candidat de maires ». Si les principaux dirigeants du PT, Pierre Lambert et Daniel Gluckstein, appartiennent au Courant communiste internationaliste qui se réclame du trotskysme, Schivardi ne se considère ni trotskyste ni révolutionnaire, mais « socialiste dans le sens noble du mot ». Il affirme qu’il n’aurait pas présenté sa candidature si Fabius avait été le candidat du PS. En tout cas, avec son score dérisoire (0,34%), la candidature de Schivardi n’a d’autre  intérêt que de témoigner de  la dérive et du crépuscule du courant lambertiste...

Schivardi a axé son intervention sur la sortie de la France de l’Union européenne, qui serait à elle seule responsable de l’état actuel de l’économie et du chômage. Partisan de la France « une et indivisible », il se prononce pour l’autonomie des territoires hors de la métropole, sauf de la Corse. Ajoutez à cela la « défense des 36 000 communes » françaises pour sauver les services publiques menacés par le traité de Maastricht, et vous comprendrez que Lambert et Cie sont plus proches e la tradition de la franc-maçonnerie laïque républicaine (bourgeoise) que du programme trotskyste de  révolution prolétarienne. Au cours de la campagne, Schivardi et Gluckstein pour le PT ont lancé un appel pour « un authentique parti ouvrier ». Qu’on ne s’y trompe pas, l’appel était lancé, entre autres, en direction des maires, des « laïcs », etc. - ce qui donnera à ce nouveau parti imaginaire un caractère ouvrier bourgeois.

III. Le trotskysme contre le front populaire

Avoir cinq candidatures présidentielles qui se situent à la gauche du PS, dont trois lancées par des partis réputés trotskystes, est une particularité bien française, et plus spécifiquement un reflet de l’influence toujours vivante des luttes de Mai 68. En réalité, les candidatures d’ « extrême gauche » n’étaient que des relais pour la candidate du front populaire autour du PS. Voter pour LO ou la LCR au premier tour, de même que pour José Bové ou le PCF, signifiait faire pression sur le PS et voter pour Royal au second tour, lui décisif. Pour des authentiques trotskystes, voter pour  n’importe quel candidat d’un front populaire est exclu, à cause du caractère bourgeois de cette coalition de collaboration de classes.

Le fondement de toute politique marxiste est l’indépendance de classe du prolétariat vis-à-vis de la bourgeoisie. Comme le remarquait Engels lors de la conférence de Londres de la Association internationale des travailleurs (Ière Internationale), en septembre 1871, au lendemain de la défaite de la Commune de Paris :

« Nous voulons abolir les classes. Par quel moyen y parviendrons-nous ? Par la domination politique du prolétariat…. Cependant, la politique qu'il faut faire doit être celle du prolétariat: le parti ouvrier ne doit pas être à la queue de quelque parti bourgeois que ce soit, mais doit toujours se constituer en parti autonome ayant sa propre politique et poursuivant son propre but. »

Ce principe fut ensuite codifié pour les statuts de la AIT, sous l’article 7a : « Dans sa lutte contre le pouvoir collectif des classes possédantes, le prolétariat ne peut agir comme classe qu'en se constituant lui-même en parti politique distinct, opposé à tous les anciens partis formés par les classes possédantes. » C’est ce que contredit toute coalition avec la bourgeoisie.

Dans le reste de l’extrême gauche, presque toutes les organisations ont donné leur aval au front populaire, directement ou indirectement. Parmi les différents groupes issus du courant dirigé par feu Stéphane Just (qui avait lui-même scissionné du lambertisme), le Groupe Bolchevik (GB) a appelé : « Aux élections présidentielle et législatives, vote contre les candidats des partis bourgeois » (Révolution Socialiste, avril 2007). Cet appel s’est traduit dans le conseil à « choisir, lors des premiers tours, une candidate ou un candidat d’une organisation issue de la classe ouvrière (PS, PCF, LCR, LO) contre tous les candidats bourgeois », et au second tour d’apporter son vote à la « candidate (ou un candidat) d’une organisation ouvrière … sinon à s’abstenir ».

Dans le concret, cela voulait donc dire voter pour Ségolène Royal le 6 mai. Le plus curieux de l’histoire, c’est que le GB admet volontiers que la candidate du PS est « directement soutenue par deux formations bourgeoises, le PRG de Taubira et le MDC de Chevènement » et que, à l’issue d’une victoire électorale de Royal, ce serait un « gouvernement bourgeois de coalition entre PS, PCF, PRG, MDC et autres débris, que Royal constituerait ». Le GB résume aussi les candidatures de la LCR et de LO, avec leurs programmes « d’urgence » presque identiques, comme du « réformisme 100 % à gauche ». Néanmoins, il appelle à voter pour ces lieutenants de la coalition bourgeoise de Royal ! La politique du GB est donc un soutien « critique » au front populaire.

Pour sa part, le Groupe CRI (communiste révolutionnaire internationaliste), issu du courant lambertiste, a adopté une ligne plus à gauche dans les présidentielles. Dans un article publié sous le titre « Campagne électorale sans perspective pour les travailleurs » (CRI des Travailleurs, avril 2007) il rejeta d’emblée la candidature de Royal et constate aussi que « Besancenot [LCR] et Laguiller [LO] se réclament des travailleurs et dénoncent le capitalisme… mais mènent une campagne réformiste et s’apprêtent à voter pour S. Royal au second tour ». Qui plus est, le Groupe CRI annonçait par avance qu’il « n’appellera pas à voter pour Ségolène Royal au second tour, mais au boycott ». Très bien, ça. Mais, quand même, il appelait à voter Besancenot ou Laguiller. Sur quelle base, alors ? Il précise :

« Si nous critiquons fortement l’orientation réformiste de ces deux organisations, nous estimons important que le maximum de travailleurs et de jeunes se saisissent de ces deux candidatures pour exprimer leur refus du capitalisme, leur refus de l’alternance entre la droite et la gauche gouvernementale et leur volonté de combattre. »

Mais comment peut-on exprimer un « refus du capitalisme » en votant pour des candidats et des partis qui disent aux travailleurs que lors du tour décisif de l’élection ils doivent élire la candidate d’une coalition bourgeoise ? (C’est d’autant plus le cas que le Groupe CRI considère, à tort, que le PS est désormais un parti bourgeois tout court, et non un parti ouvrier bourgeois, selon la caractérisation qu’avait faite Lénine des partis sociaux-démocrates réformistes à l’époque de la IIIe Internationale.) Les conséquences de cette politique peuvent apparaître quelque peu opaques aujourd’hui en l’absence de grandes luttes ouvrières en France. Mais celles-ci ne vont pas manquer de ressurgir, et les mots d’ordre des révolutionnaires doivent préparer les couches les plus avancées des ouvriers et opprimés aux enjeux à venir.

Prenons un cas historique, dont on connaît déjà les conséquences : le Chili au temps de l’Unidad Popular (UP) de Salvador Allende. L’équivalent de la politique du Groupe Bolchevik aujourd’hui aurait été de voter en 1970 pour le MIR, le PC ou Allende, en tant candidat du PS, alors qu’il était en fait le candidat de l’UP, un front populaire qui comprenait aussi de petites formations bourgeoises telles que le MAPU et le Parti radical. La politique du Groupe CRI serait de voter pour le MIR, qui donnait à son tour un soutien électoral critique à Allende et au PS. Mais la nécessité urgente à l’époque était de dire tout haut à la classe ouvrière qu’il fallait refuser de voter pour tout candidat ou parti de l’UP. Il fallait faire scissionner le front populaire sur des lignes de classe, pour rompre avec la bourgeoisie. Sinon, en dressant une barrière à la lutte ouvrière révolutionnaire, l’UP mènerait forcément au désastre, à un bain de sang, comme ce fut le cas et comme nous en avions averti à l’époque.

 La politique des pseudo-trotskystes du courant pablo-mandélien au Chili en 1970-1973, qui s’exprimait dans le MIR (dont plusieurs des fondateurs étaient membres du Secrétariat Unifié d’Ernest Mandel), était de faire leurs petites affaires « dans l’ombre du front populaire » de Allende, comme Trotsky avait mis en garde (dans sa lettre de juillet 1936 à la section néerlandaise de mouvement pour la IVe Internationale) à propos des évènements en Espagne :

« La question des questions à présent est le front populaire. Les centristes de gauche cherchent à faire passer cette question pour un manœuvre tactique ou même technique, pour être en mesure d’écouler leurs camelotes dans l’ombre du front populaire. En réalité le front populaire est la question centrale de la stratégie de classe prolétarienne en cette époque. Il offre également le meilleur des critères pour différencier le bolchevisme du menchevisme. »

C’était aussi la politique des pablo-mandéliens dans la France de 1973-74, quand ils ont appelé à voter au second tour pour Mitterrand, le candidat de l’Union de la gauche, une coalition de front populaire, alors que l’organisation de Lambert et Just (à l’époque l’OCI) appelait à voter déjà au premier tour pour Mitterrand, « premier sécretaire du PS ». Finalement élu président en 1981, Mitterrand formait un gouvernement bourgeois menant une politique étrangère social-démocrate de Guerre froide antisoviétique sur la Pologne et l’Afghanistan, et inaugurant les attaques contre les conquêtes ouvrières en France, attaques qui n’ont pas cessé depuis. Aujourd’hui, les orphelins du lambertisme et de sa variante justienne utilisent le « Front unique ouvrier » (FUO) pour maquiller la capitulation face à la bourgeoisie. C’est du front-populisme au deuxième degré.

IV. Du crétinisme parlementaire d’un type nouveau

Finalement, dans la constellation de l’« extrême gauche » trotskysante, il faut mentionner la Ligue trotskyste de France (LTF), affiliée a la Ligue communiste internationale (LCI). La LTF a refusé de voter autant pour la candidate du front populaire, Ségolène Royal, que pour les candidats de la LCR et de LO, qui « servent ainsi de rabatteurs pour le vote Royal ». Cependant, arguant de son refus d’administrer l’Etat bourgeois, la LTF a innové en ajoutant qu’en tout cas elle n’allait pas se présenter à des postes exécutifs comme la présidence de la République. Elle présente cette nouveauté comme une avancée de la politique des trotskystes du temps de Trotsky et Cannon (qui fut le principal dirigeant du trotskysme américain jusque dans les années 60). En réalité, la politique de la LTF,  argumentée par une scolastique qui s’éloigne progressivement de la lutte des classes, révèle un crétinisme parlementaire semblable aux prétendus trotskystes mandéliens.

Assurément, la bourgeoisie française sera soulagée d’apprendre que la LTF ne présentera aucun candidat à la présidence de la République ! Mais, pour les révolutionnaires, le fait de présenter des candidats à des postes exécutifs comme président de la République ou maires n’implique en rien qu’ils pensent occuper ces postes dans le cadre de l’Etat bourgeois. Comme nous avions toujours souligné à l’époque où la LCI et la tendance spartaciste internationale (qui l’avait précédée) représentaient la continuité du trotskysme authentique, nous utilisions les élections comme plate-forme pour la propagande révolutionnaire. Si - cas extraordinaire - un candidat révolutionnaire avait eu suffisamment d’influence pour pouvoir être élu, c’est que le parti trotskyste aurait déjà commencé la construction de conseils ouvriers et d’autres organes de caractère soviétique. Et il insisterait que, s’ils étaient élus élus, ses candidats se baseraient sur ces organes de pouvoir ouvrier et non sur des institutions de l’Etat bourgeois.

En réalité, nous, marxistes, nous opposons (depuis Marx) même à l’élection de présidents au moyen du suffrage universel - ce qui produit un exécutif semi-bonapartiste qui échappe au contrôle des corps législatifs. Nous nous opposons aussi à l’existence d’une deuxième chambre législative supérieure pour être foncièrement antidémocratique. Devrions-nous alors refuser de présenter des candidats aussi au sénat ? La LTF explique sa nouvelle ligne avec l’argument que se présenter à un poste exécutif pourrait « prête[r] une légitimité aux conceptions réformistes dominantes de l’Etat ». Mais des illusions pareilles pourront aussi être alimentées dans le cas de candidats à des postes législatifs, surtout quand il y a des régimes parlementaires où le conseil des ministres prétend s’appuyer sur une majorité au parlement. Dans ce cas, il faut souligner que même si un candidat est élu député,  on ne fera pas la révolution en obtenant une majorité à la chambre. Par contre, refuser, avec l’argument avancé par la LTF, d’utiliser l’opportunité de ces campagnes pour faire de la propagande révolutionnaire implique qu’étant élu on suivrait les règles du jeu parlementaire bourgeois. Ce sont les craintes de crétinistes parlementaires qui ont peur de leurs propres impulsions, et avec raison.

Il est plus probable, en fait, qu’un candidat vraiment révolutionnaire, à n’importe quel poste, finirait en prison, comme ce fut le cas de Liebknecht en Allemagne ou des députés bolcheviques à la Douma dans la Russie tsariste. Et là, on n’aura pas le petit problème qui préoccupe tellement la LTF. Donc la vraie question, c’est la nature politique de la campagne : soit révolutionnaire, soit réformiste, soit la confusion cristallisée du centrisme avec les zigzags constants qui caractérisent la politique de la LCI ces dernières années.

 Des élections bourgeoises à la lutte pour la révolution ouvrière

Nous sommes maintenant dans la période post-présidentielle, qui est aussi celle des élections législatives. Les éléphants du PS ont décidé de reporter de quelques semaines la petite « fête » où vont se régler les comptes (un vrai festin cannibale !) pour prendre la mesure des douloureux dégâts du troisième tour électoral. Déjà, les principaux acteurs de ce « drame » font une course, dans le couloir de droite, pour décider qui sera le mieux placé pour convertir la social-démocratie française en copie carbone du New Labour britannique de Tony Blair... au moment où celui-ci, en totale disgrâce, quitte  Downing Street ; ou, encore, pour fonder un nouveau parti ouvertement bourgeois, peut-être en mésalliance avec le droitier camouflé en centriste Bayrou, comme le font les résidus du PC italien avec leur projet de Parti démocrate avec le débris de la Démocratie chrétienne. Pour le PCF, au bord de la disparition de l’échiquier parlementaire, l’enjeu est de sauver ce qu’il peut du naufrage en tant qu’appendice du PS. Pour les Verts, la guerre est finie. En tout cas, la totalité de la gauche parlementaire se prépare à une nouvelle période étendue de futilité politique.

Côté gouvernemental, Sarkozy prépare la « rupture ». L’ère de la « cohabitation » style Mitterrand ou Chirac est passée. Même si à côté du premier ministre François Fillon figure un ministre « socialiste » ou un autre – tel Bernard Kouchner, vétéran de la guerre froide antisoviétique -, ce n’est guère le modèle du front populaire gaulliste de l’après-guerre qu’il envisage mais plutôt un régime fort dans la tradition pétainiste, dans lequel il y avait aussi des fonctionnaires ex-« socialistes » (et aussi des futurs, comme Mitterrand). S’il prétend introduire les « réformes » de façon graduelle, n’abolissant pas d’un coup la semaine de 35 heures mais en l’« assouplissant », il est évident que Sarkozy prépare une confrontation avec les syndicats, surtout ceux du transport. Il veut craquer le noyau dur et donner une leçon comme l’avait fait Mme Thatcher en Angleterre en écrasant la grève des mineurs 1984-1985 et en détruisant leur syndicat. Et les bureaucrates syndicaux ont laissé clairement entendre qu’ils n’ont aucune intention de mener une résistance de fond. Ils veulent surtout être consultés. Donc le terrain est prêt pour des  luttes de classe acharnées dans des conditions de grande faiblesse de la classe ouvrière.

Quant à l’« extrême gauche » électoraliste, sa réponse diffère selon ses scores aux présidentielles. Pour la LCR, sortie première de la « gauche de la gauche », c’est l’heure des législatives. Si la dernière campagne se faisait avec surtout le fric de l’Etat (un gage de loyauté à l’égard de cet Etat bourgeois), cette fois elle pense dépenser plus de 1 600 000 euros pour lancer 450 candidats. Le parti de Krivine et Besancenot parle aussi de « résistance » et, tout à coup, les thèmes de mobilisation qui avaient disparu pendant la « trêve » électorale reparaissent. Les sans-papiers sont de retour, les grèves aussi ! C’est « la lutte d’après » (Rouge, 18 mai) : tout ce qu’elle évitait soigneusement « avant » pour ne pas déranger la campagne de Royal. Mais attention ! Cette « résistance » sert surtout au décor de la « devanture » pour le seul temps de  la campagne électorale. Pour LO, c’est : « Après l’élection de Sarkozy, Reprendre le chemin de la lutte ! » (Lutte Ouvrière, 18 mai). Soudainement, le scrutin ne vaut plus rien, le bulletin de vote n’est plus qu’un bout de papier, il faut retourner aux luttes syndicales de toujours...

Les petites organisations chantent aussi la même musique, chacune selon sa partition habituelle. « Préparons la résistance aux attaques de Sarkozy : Construisons un regroupement politique anticapitaliste cohérent et conséquent » proclame le Groupe CRI (tract du 10 mai). Pour lui, c’est le front unique ouvrier, et il accepte toutes les propositions de la LCR sur une « force anticapitaliste », ce qui veut dire avec les Bové et les altermondialistes bourgeois d’Attac ; il lance de nouveau aussi ses appels à former des oppositions syndicales de front unique. La LCR, elle aussi, appelle à construire une opposition syndicale. Pour le Groupe Bolchevik, l’axe doit être : lutter pour que les directions syndicales ne participent pas aux négociations avec le gouvernement Sarkozy-Fillon. Toutes ces initiatives sont censées faire pression sur la bureaucratie syndicale procapitaliste, et leurs plateformes sont toutes dans sillage du programme minimum « d’urgence » commun à LO et la LCR. Une véritable opposition de lutte de classe contre l’offensive capitaliste devra aller au-delà des luttes économiques pour soulever des mots d’ordre transitoires et des luttes qui dépassent le cadre strictement syndical pour se diriger vers une lutte pour le pouvoir ouvrier.

Police anti-émeutes à Corbeil-Essonnes au sud de Paris, le 7 novembre 2005. Il fallait appeler aux travailleurs et aux jeunes à se mobiliser aux cités en défense de la population assiégée par les flics. (Photo: Michel Spingler/AP)

Prenons d’abord la situation des jeunes dits « de banlieue » ou « issus de » l’immigration et du colonialisme. Le sentiment de désespoir est tel que dans beaucoup de cités HLM autour des grandes villes il y eu des votes jusqu’à 80% en faveur de Royal. Et ce, en dépit de sa politique ultrarépressive - pour l’ « l'encadrement militaire des mineurs », des « centres éducatifs renforcés », la construction de « centres fermés », l’exécution des « peines adaptées au premier délit », etc. Pourquoi les candidats de l’« extrême gauche » n’ont-ils pas eu une meilleure réponse aux « banlieues » ? Parce qu’ils n’ont absolument rien fait pour défendre les populations soumises à la féroce répression policière en novembre 2005. Tout au plus quelques petites manifs bien parisienne de protestation … au Quartier latin et même au Champ de Mars ! Où était la marche sur la Cité des 3 000, aux Minguettes, pour rompre l’encerclement des CRS ? Il n y en avait pas. Mais qu’est-ce qu’il faut faire maintenant, alors qu’il est évident qu’avec Sarkozy président la répression s’intensifiera ?

Nous, trotskystes de la Ligue pour la Quatrième Internationale, avons appelé à la défense ouvrière-immigrée des banlieues contre la répression policière et les attaques racistes. Le fait que beaucoup des cités se situent auprès des zones industrielles, des entreprises et des grandes usines facilite cette perspective. La ville d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, peut servir d’exemple. C’est un lieu qui est régulièrement investi par la police paramilitaire, qui a provoqué consciemment les incidents, comme nous l’avons vu. Et c’est juste à côté de l’usine de PSA, qui a connu une grève longue de six semaines en pleine campagne présidentielle. Visiter les piquets de grève comme l’ont fait Royal, Laguiller, Besancenot, Buffet et Bové est seulement un geste de sympathie – qui ne coûte rien mais qui n’apporte rien non plus. Il fallait généraliser la grève à tout le secteur automobile et manifester en direction de la capitale. Il fallait aussi appeler les ouvriers et militants syndicaux à se mobiliser en défense des populations assiégées par la police. Des milliers de travailleurs sur place auraient pu empêcher les « bavures » policières la nuit de 6 mai à Aulnay – ce qui aurait servi d’avertissement à Sarkozy que la prochaine fois qu’il essaie de « nettoyer au Kärcher » il risque de déclencher une guerre civile.

Il y a aussi la situation terrible des sans-papiers. Depuis juin 2006, il y a eu des milliers d’expulsions parmi les 23 000 personnes dont la demande de régularisation a été refusée, sous le coup de la circulaire Sarkozy. Des milliers d’enfants scolarisés sont menacés. La police a arrêté des parents venus chercher leurs enfants à la sortie des écoles, et même un grand-père à l’école de la  rue Rampal, à Paris. La directrice de l’établissement s’est vue mettre en détention, pour s’être opposée – avec d’autres – à cette arrestation arbitraire honteuse. Des enseignants se sont mis en grève pour protester, mais qu’a fait la gauche ? Dans le débat avec Sarkozy avant le second tour, Royal s’est opposée à toute régularisation massive, explicitement en accord avec son « adversaire ».

Pire encore, dix jours avant le premier tour, les « services d’ordre » de la CGT, de la CFDT et de FO ont expulsé un collectif de sans-papiers qui occupait la Bourse du Travail de Paris. En décembre, quand une centaine de sans-papiers ont occupé une piscine désaffectée de Saint-Denis, le maire PCF de la ville appelait les flics pour les faire évacuer. Même opération, juste avant Noël (!), à l’université de Saint-Denis où la présidence d’université « de gauche » – avec la participation active des élus PCF au Conseil régional – appelait les CRS pour expulser manu militari les sans-papiers qui occupaient un amphi ! Et les candidats de l’« extrême gauche » n’ont rien fait pour appuyer la lutte des immigrés sauf quelques rares et timides expressions de sympathie. Des mobilisations massives de dizaines de milliers de personnes pour empêcher les expulsions des sans-papiers et revendiquer les pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrés auraient secoué la campagne. Mais celles-ci n’ont pas eu lieu... pour ne pas déranger la candidate du front populaire.

 Aujourd’hui, la lutte des sans-papiers continue. Que peut-on faire ? Il faut mobiliser les syndicats en leur défense. Il y a de nombreuses opportunités. A Lyon, un élu du PCF, François Auguste, est poursuivi en justice pour avoir demandé aux passagers d’un vol d’Air France de s’opposer à l’expulsion des sans-papiers à bord de l’appareil. Au lendemain du deuxième tour, des centaines de manifestants sont venus le soutenir. Si tout le mouvement ouvrier lui apportait son soutien, la prochaine fois ils pourraient être des milliers. En plus, il faudrait faire à une échelle de masse ce que ce courageux militant a essayé de faire tout seul en empêchant physiquement les expulsions. Deuxième exemple : la fédération Ile-de-France de LO porte une certaine attention sur le cas des travailleurs immigrés de l’usine Metal Couleur, dans le Val-de-Marne ; 19 d’entre eux ont été licenciés en janvier pour être en possession de supposés « faux papiers ». Quand tous les travailleurs avec l’appui de la CGT ont manifesté leur intention d’occuper le lieu de travail, ils ont obtenu des titres de séjour provisoire pour leurs camarades. Il faut attirer l’attention sur cet exemple et le généraliser.

Prenons le cas des travailleurs de la SNCF et de la RATP, cible préférée de Sarkozy qui a déclaré la guerre aux « régimes spéciaux » de retraites, en essayant de les faire passer pour des « privilégiés ». Le nouveau président annonce qu’il imposera le « service minimum » dans les transports pendant les grèves. « Le calendrier de la démocratie politique ne peut pas être bafoué par le calendrier syndical », martèle-t-il. Les bureaucrates syndicaux des trois fédérations majoritaires (CGT, CFDT, FO) insistent seulement qu’ils veulent être consultés, se basant sur la loi de modernisation du dialogue social, votée par l’UMP elle-même, qui exige la « concertation préalable ». Par contre, ils n’insistent pas sur la défense du droit de grève et des retraites. Il est prévisible, donc, que la lutte nécessaire pour défendre ces acquis syndicaux sera faite contre les hauts dirigeants confédéraux. Il faut commencer dès maintenant à tisser les liens militants pour préparer des luttes ouvrières déterminées, pour jeter les bases de comités de grève élus et révocables à tout moment. Ce sera aussi un moyen pour dépasser la division syndicale et établir l’unité dans la lutte qui englobera également les non-syndiqués.

Mais, pour ce faire, il faut rompre la discipline de l’appareil syndical et forger un courant syndical révolutionnaire. Et là, il y a problème. Quand des organisations d’« extrême gauche » veulent construire des oppositions syndicales, elles pensent le faire avec leurs propres militants qui sont aujourd’hui en grande partie des bureaucrates de bas ou moyen niveau. Rompre définitivement avec les bonzes syndicaux coûterait leur emploi. Donc tous leurs mots d’ordre, leurs références à la lutte de classe, leurs invocations à une grève générale, ont pour but de faire pression sur les sommets du mouvement ouvrier. C’est la voie de la défaite. Pensez à l’expérience de la lutte de 1995 contre le plan Juppé. On chantait en permanence « Tous ensemble, tous ensemble », on était pleinement « motivés ». La question d’une grève générale s’imposait, non comme une formule rituelle ou un mythe mobilisateur mais comme une tâche immédiate. Mais comment y arriver ? Il fallait rassembler les secteurs plus combatifs dans la lutte (PTT, RATP, etc.) pour brise la mainmise des Marc Blondels et Cie. Mais en dépit des mobilisations répétées de centaines de milliers de travailleurs, les grèves ont échoué au lieu de se généraliser, les travailleurs étant restés sous la coupe de ces bureaucrates syndicaux réformistes.

C’est là la question clef : celle de la direction révolutionnaire. Heureusement, il y a aujourd’hui de nombreux militants, travailleurs et jeunes, qui sont fortement critiques des organisations les plus représentatives de l’extrême gauche, et refusent de suivre ces dernières dans un suicide politique certain. Ce sont eux qui, par leur volonté de lutte pour l’indépendance politique de la classe ouvrière, représentent l’avenir du marxisme en France. L’expérience qui peut être tirée du récent choc des présidentielles (un « thermomètre » de la situation politique et social), mais surtout des luttes sociales de la décennie passée, est l’urgent et nécessaire regroupement des marxistes orthodoxes au sein d’un parti ouvrier révolutionnaire. Cependant, il faut souligner que ce parti ne peut être qu’un parti authentiquement trotskyste. Sinon, il serait voué à l’échec. Il est notable que dans les écrits des organisations d’« extrême gauche » identifiées comme trotskystes presque toutes n’appellent pas à la construction d’un parti trotskyste mais à un parti plus « large » qui unira « tous les révolutionnaires », etc.

Dans une période de confusion idéologique tous azimuts, de l’effondrement du stalinisme et la banqueroute de la social-démocratie, nous avons besoin surtout de clarté programmatique. Au niveau électoral, il faut lutter pour la rupture inconditionnelle avec les fronts populaires d’aujourd’hui et de demain, et en finir avec les tractations de coulisse et jeux tactiques. Le parti révolutionnaire doit se forger sur la base d’une lutte implacable contre toutes les sortes d’opportunisme social-démocrate, et non de convergences de circonstance. Il faut tirer les leçons des luttes de 1995, de 1968, de 1936 – c’est-à-dire des opportunités révolutionnaires qui ont été sabotées par le charme trompeur du centrisme quand il fallait avoir la fermeté révolutionnaire. Les programmes minimums « d’urgence » d’aujourd’hui ne sont évidemment pas à l’hauteur de la lutte nécessaire pour vaincre une bourgeoisie si décidée à écraser toute opposition qu’elle choisit comme gérant de ses affaires un « pompier pyromane » comme Sarkozy. Plus dangereux même que le programme réformiste de Besancenot et Laguiller serait la réapparition d’une variante centriste, comme en Mai 68 quand Ernest Mandel remplaçait les revendications du Programme de transition pour le contrôle ouvrier par son ersatz des « réformes de structure anticapitalistes ».

Pour construire le parti d’avant-garde prolétarien dont on a besoin aujourd’hui, le trotskysme n’est pas une simple référence historique, comme le prétendent les dirigeants de la LCR, de LO et aussi des petites formations qui ont abandonné l’essentiel du programme révolutionnaire de la Quatrième Internationale de Trotsky. Devant la nécessité de défendre la Chine et Cuba, Etats ouvriers bureaucratiquement déformés, face à la contre-révolution, il ne peut pas être question de combinaisons avec des courants qui ont salué des contre-révolutionnaires comme Eltsine en 1991 ou Walesa en 1981, qui ont « hurlé avec les loups » impérialistes contre l’intervention soviétique en Afghanistan. Face à une nouvelle montée de front-populisme, il faudra insister sur les leçons apprises, à grands frais en vies ouvrières, des expériences d’Espagne, d‘Indonésie et du Chili. Pour pouvoir conduire à la victoire de nouvelles révolutions prolétariennes, il faut maintenir fermement les acquis théoriques et programmatique de l’Octobre rouge et de la lutte que les trotskystes ont menée pendant trois quarts de siècle pour le bolchevisme-léninisme authentique. C’est là la tache qu’assume la Ligue pour la Quatrième Internationale.  n

Banqueroute de la gauche parlementaire... et de l’ « extrême gauche » électoraliste : Il faut forger un vrai parti trotskyste


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