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  juin 2019

La révolte des « Gilets jaunes » et
la lutte pour la révolution socialiste


Des gilets jaunes marchent à Paris, novembre 2018.  (Photo : Deutsche Welle)

Ça fait plus de six mois que les premières manifestations des « Gilets jaunes » en France ont eu lieu. Des milliers de personnes continuent de manifester, bien que la bourgeoisie ait attendu – avec une impatience mal dissimulée – depuis que ce mouvement a commencé qu’il reflue, puis meurt. Une répression féroce a réduit les manifestations à un noyau dur et une campagne de propagande médiatique implacable a miné le fort soutien initial du public, mais la guerre de guérilla est loin d’être terminée. Les attaques des flics sont les plus massives et les plus brutales depuis mai 1968. Pourtant, les médias bourgeois à travers le monde – si prompts à dénoncer la « violence » contre les bourgeois racistes qui préparent des coups d’état au Venezuela – dissimulent la terreur policière en France.

Les réactions à l’incendie qui a ravagé Notre-Dame en avril ont mis en lumière la polarisation sociale. Alors que le président Macron utilisait ce prétexte pour appeler une fois de plus à l’unité nationale, de nombreux gilets jaunes étaient à juste titre furieux du fait que les entreprises françaises, souvent subventionnées par l’état, puissent avec insouciance offrir des centaines de millions d’euros à des fins de réparation, tandis que les services sociaux sont coupés sauvagement. Depuis son entrée en fonction en mai 2017, Macron a introduit de nouvelles lois de travail anti-ouvrières, amorcé la privatisation du système ferroviaire de la SNCF, supprimé des milliers d’emplois dans le secteur public et créé de nouveaux obstacles à l’accès aux universités. Il a annulé la taxe sur la fortune tout en augmentant les taxes sur les retraites et réduisant les allocations logement.

La hausse des taxes sur le carburant, qui frappait particulièrement les travailleurs, était la goutte qui a fait déborder le vase, déclenchant la révolte des Gilets jaunes. Dans toute l’Europe, la malaise sociale suite au krach financier de 2008 s’est traduit par divers mouvements et partis populistes. Ceux-ci ont mobilisé de larges couches de la petite bourgeoisie, ainsi que des travailleurs, des jeunes et d’autres qui ont été durement touchés par la crise économique mondiale. Certains de ces mouvements ont un caractère nationaliste et droitier, ciblant les immigrés et se fondant dans des partis fascisants tels que la Lega en Italie et carrément fascistes comme le Rassemblement National (RN) en France. D’autres étaient plutôt de « gauche », comme SYRIZA en Grèce ou Podemos en Espagne. Mais l’austérité brutale continue, car aucun de ces mouvements n’a représenté une opposition prolétarienne au système capitaliste.

Les Gilets jaunes sont encore un cas de ces mouvements populistes qui se sont succédé ces dernières années. Plutôt qu’une formation politique structurée, il s’agissait en France d’une « mouvance » floue, reflétant le fait qu’elle englobait à la fois des militants de gauche et de la droite, ainsi que de nombreux anciens électeurs des partis capitalistes dominants. Tels mouvements multi-classes – de gauche, de droite ou de centre – ont un caractère bourgeois et ne peuvent donc mener une lutte révolutionnaire pour faire tomber le capitalisme. Le fait qu’ils aient canalisé la protestation populaire contre l’inégalité et l’austérité est la punition de l’histoire pour l’absence de direction révolutionnaire de la classe ouvrière. Pour aller de l’avant, il faut mobiliser le prolétariat pour bouleverser l’axe de classe de la lutte.

Le gouvernement fait son mieux pour préparer le terrain. Les mesures d’état policier ont abouti à des attaques au gaz lacrymogène et canon à eau visant des contingents syndicaux ainsi que des gilets jaunes et d’autres à Paris le 1er mai. Toutefois, l’apparition soudaine et inattendue des Gilets jaunes a été la suite d’une série de défaites du mouvement ouvrier, dues principalement au fait que les bureaucraties syndicales continuent de fonctionner comme des lieutenants du capital en sabotant les luttes. Alors que la CFDT et Force Ouvrière « concertent » avec Macron au sujet de ses « réformes » anti-ouvrières, la CGT, réputée plus militante, ne propose que des mobilisations symboliques d’un jour. La soi-disant « extrême gauche » du NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) et LO (Lutte Ouvrière) agissent à leur tour comme le flanc « gauche » de ces bureaucraties.

La situation exige une direction ouvrière qui va au-delà du simple syndicalisme, avec un programme visant à unir l’ensemble de la classe ouvrière et à rassembler les retraités, les jeunes, les chômeurs et les immigrés dans une lutte de classe dure. Les Gilets jaunes ont commencé comme un mouvement de province contre l’élite clinquante de la capitale. Mais tout en perturbant le trafic et certains transports commerciaux, ils n’ont pas le pouvoir social de la classe ouvrière organisée. Pour faire tomber Macron, ce banquier d’affaires qui se prend pour un petit Napoléon (ou même le dieu suprême Jupiter !), ils doivent s’unir aux travailleurs immigrés des banlieues assiégées, chapeautées par des « bataillons lourds » d’ouvriers industriels et dirigés par un parti ouvrier révolutionnaire et multiethnique. Une avant-garde léniniste-trotskyste présenterait à cette fin une série de revendications transitoires conduisant à un gouvernement ouvrier.

Halte à la répression contre les Gilets jaunes !

Depuis le début des manifestations des Gilets jaunes en novembre 2018, le gouvernement d’Emmanuel Macron a réagi par une répression massive à une échelle sans précédent depuis des décennies. En six mois de manifs, 12 107 manifestants ont été interpellés, dont 10 718 placés en garde à vue (Canal +, 15 mai). Quelque 1 500 personnes furent détenus en une seule journée (le 8 décembre), un record, dépassant largement le nombre de personnes arrêtées dans les rafles de la police lors du sommet du G20 à Hambourg en 2017.

De plus, selon les révélations du Canard Enchaîné (17 et 24 avril), les hôpitaux de Paris ont reçu l’ordre à plusieurs reprises de remettre les identités des personnes blessées par les attaques de la police.

Plus de 2 000 gilets jaunes ont été jugées et condamnées, la grande majorité dans des comparutions immédiates. Sur ce nombre, environ 800 ont été condamnés à des peines de prison ferme. D’autre part, des milliers de manifestants ont été blessés dans l’assaut pervers de la police, dont plus de 280 blessés à la tête, principalement par des balles en caoutchouc et des grenades policières, alors que 24 personnes ont été éborgnées et cinq ont eu la main arrachée. Naturellement, aucun policier n’a été inculpé.

Cette orgie de violence et de répression policière est une menace pour tous, et pour les droits démocratiques fondamentaux. Nous exigeons que toutes les accusations portées contre les manifestants des Gilets jaunes soient annulées, que tous les incarcérés soient libérés et que toutes les condamnations soient effacées ! 

Un mouvement populiste hétérogène

Adoptant le gilet jaune de sécurité obligatoire pour tous les conducteurs, quelque 300 000 personnes se sont manifestées le 17 novembre et ont installé plus de 2 000 barrages routiers dans ce qui était à l’origine une rébellion contre la hausse de la taxe sur l’essence. Il s’est rapidement transformé en une révolte diffuse suscitée par l’arrogance insupportable du président Emmanuel Macron. En décembre, Macron a annoncé que l’augmentation de la taxe sur les carburants serait reportée, ainsi que quelques autres concessions triviales, et qu’il allait entamer une « tournée de dialogue » à travers le pays. Après quelques mois de monologue, Macron a annoncé en avril le prochain cycle d’attaques capitalistes à peine camouflés, affirmant que ses plans « doivent être préservés, poursuivis et intensifiés ».

Le mouvement des Gilets jaunes a exprimé la colère et le ras-le-bol de millions de personnes face à la hausse des prix et des taxes. L’« écotaxe » qui a fait monter les prix de l’essence a imposé un nouveau fardeau à de larges couches de la population. Comme lors des récentes manifestations contre le gasolinazo de 2017 au Mexique, la rébellion des camionneurs de mai 2018 au Brésil et la quasi-insurrection d’Haïti en juillet, les hausses de taxes visant à réduire la consommation de carburant ont été commandées par des agences financières internationales. Les déclarations de Macron concernant l’environnement sont carrément insultantes. En fait, étant donné le démantèlement des transports en commun, la diminution du nombre de bureaux gouvernementaux, de services sociaux, d’hôpitaux, d’écoles, de magasins, etc., les personnes vivant loin des centres-villes ont plus que jamais besoin de leur voiture.

C’était en effet une explosion de « la France profonde » de province. Les provinces sont souvent considérées comme des nids de la réaction depuis l’époque des Jacobins et de la Commune de Paris. Aujourd’hui, c’est là que la RN fasciste obtient ses meilleurs résultats électoraux. Comme tous les clichés, cela comporte des éléments de vérité, mais seulement certains. Une étude réalisée parmi les premiers manifestants des gilets jaunes, publiée dans Le Monde (11 décembre 2018), montrait que, sur le plan sociologique, il s’agisse d’un mouvement des travailleurs et de la classe moyenne inférieure. Il y avait des proportions plus élevées d’employés et de travailleurs indépendants, mais bon nombre gagnent à peine le salaire minimum. L’âge moyen était de 45 ans, soit légèrement plus que la moyenne française, ce qui reflète le fait qu’un quart d’entre eux étaient des retraités.

Le président « jupitérien » Macron fait inspection à Paris en compagnie de ses flics, le 2 décembre.
(Photo : Etienne Laurent/EPA)

Ce n’est pas, donc, une réédition du mouvement poujadiste des années 1950, un mouvement réactionnaire qui représentait la classe moyenne traditionnelle en déclin, principalement des commerçants. Mais ce n’est pas non plus la classe ouvrière organisée : 64% ont déclaré que les syndicats n’avaient pas de place dans le mouvement. Un tiers d’entre eux ont déclaré qu’ils n’étaient « ni de gauche ni de droite » (une ligne souvent réactionnaire), et pour près de la moitié (47%), il s’agissait de la première activité politique.

Dès le début, les Gilets jaunes ont ainsi interdit non seulement les partis politiques, mais tout forme spécifique de décision collective et de délégation. Ils ne voulaient pas de « porte-parole », bien que les médias bourgeois aient fini par sélectionner quelques personnes. D’un côté, il y avait les chauffeurs routiers Eric Drouet et Maxime Nicolle, suspectés de sympathies pour les fascistes. Et de l’autre, la Française noire des Caraïbes, Priscillia Ludosky. Mais Nicolle et Ludosky ont tenu à manifester ensemble à Paris puis à Bourges en janvier. A la recherche d’un consensus, le mouvement a simplement accumulé des revendications, aussi contradictoires soient-elles. Finalement, la polarisation politique a été écartée en évitant le débat politique et la prise de décision par la discussion.

Une liste de 42 demandes a émergé lors d’une réunion nationale à Commercy en décembre. Celles-ci comprenaient la réimposition de l’impôt sur les riches, l’augmentation du salaire minimum, des emplois pour les chômeurs et de meilleures pensions pour les classes populaires, pleine pension à 60 ans ou à 55 ans pour les personnes effectuant un travail physique pénible, l’arrêt de la fermeture des lignes ferroviaires locales, bureaux de poste et écoles, etc. En résumé, une liste de toutes les bonnes choses qui auraient pu être compilées via un sondage d’opinion. Beaucoup pourraient même être soutenus par un démagogue fasciste agile. Des exigences telles que des taxes plus élevées sur McDonalds et Google, ainsi que l’interdiction de la vente de barrages et d’aéroports, pourraient avoir une orientation nationaliste française. Certains ont appelé à un meilleur traitement des réfugiés, mais également à une expulsion rapide de ceux dont les cas sont rejetés.

Il existait avant tout un fort sentiment à faveur de la décision en matière politique par référendum. Il s’agit d’une procédure pseudo-démocratique, et finalement anti-démocratique, dans laquelle l’État bourgeois manipule la population en lui proposant des alternatives soigneusement sélectionnées et limitées. Une telle régime plébiscitaire fut favorisée par Napoléon III et de Gaulle. Mais au sein du mouvement lui-même, il n’existait et n’existent encore aucun mécanisme permettant de décider quelles vues étaient majoritaires, de répudier éventuellement l’une d’elles, ou de décider de la stratégie à adopter. Le mouvement est resté fragmenté en centaines de groupes locaux et la tentative de présenter une liste de candidats pour les élections au Parlement européen ont échoué.

Alors que leur colère est dirigée contre les banquiers et les hommes politiques capitalistes, la conscience des manifestants n’était en aucun cas révolutionnaire, ni implicitement « anticapitaliste », comme le voudraient certains courants de gauche. À cet égard, il ressemble aux « Indignés » espagnols de 2011 et au mouvement « Nuit Debout » qui occupait les places publiques, principalement à Paris, en 2016. Ces mouvements regroupaient un grand nombre de jeunes de la classe moyenne (même s’ils n’ont pas trouvé un emploi après terminer leurs études), avec un nombre limité de jeunes travailleurs et encore moins de travailleurs immigrés. Les gilets jaunes, par contre, appartiennent plutôt à la classe moyenne inférieure, ils sont moins éloquents et donc beaucoup moins attrayants pour les quelques journalistes qui refusent de régurgiter la ligne du gouvernement selon laquelle les gilets jaunes ne seraient que des simples voyous.

À l’instar des Gilets jaunes, Nuit debout n’excluait pas ni les fascistes ni les réactionnaires et parlait beaucoup de réécrire la Constitution. Il était cependant beaucoup plus étroitement associé au mouvement « La France Insoumise » (LFI) issu du Parti de gauche social-démocrate comme véhicule personnel de Jean-Luc Mélenchon sur une base explicitement nationaliste/populiste. Et en agitant le drapeau français, en chantant l’hymne national et en faisant des remarques anti-immigrés, il n’est pas étonnant que les gilets jaunes n’aient jamais vraiment pris racine à Paris ou dans les autres grandes villes et les banlieues, n’ayant rien à offrir la population immigrée.

Les leçons de la défaite des cheminots


Marche syndicale à Paris le 22 mars 2018 pendant la grève des cheminots. Au lieu d’une mobilisation générale, les bureaucrates syndicales on laissé traîner les grèves tournantes. Résultat : encore une defaite.   (Photo : Reuters)

En 2016, le gouvernement « socialiste » Hollande-Valls a proposé la loi El Khomri, qui porte le nom de sa ministre du Travail, permettant aux patrons de licencier plus facilement les travailleurs et de réduire les heures supplémentaires et les indemnités de licenciement. Hollande avait enfoncé la loi, empêchant le vote au parlement, même si cela signifiait l’autodestruction du Parti Socialiste (au service du capital). Pourtant, il a rencontré une forte résistance de la classe ouvrière. Les grèves dans plusieurs secteurs, tels que les ports, ont été efficaces et les piquets de grève ont assez bien bloqué les raffineries et les dépôts de gaz. Bien que Philippe Martinez, le chef de la CGT, ait été présenté comme un intransigeant déraisonnable, il a en réalité déclaré : « Tant que le gouvernement refuse de discuter la mobilisation va continuer » (Le Figaro, 25 mai 2016).

Mais qu’est-ce qu’il y avait à discuter ? Une véritable lutte – c’est-à-dire une grève générale réelle et non symbolique – aurait signifié arracher la direction de la grève des main des bureaucrates vénaux et aller au-delà des initiatives locales sur les sites de travail individuels pour créer des formes organisées incarnant la lutte : des comités de grève élus pour unir tous les syndicalistes, maintenant divisés en différents syndicats, ainsi que les non-syndiqués ; l’organisation des piquets de grève de masse pour propager la grève et défendre les grévistes ; et des comités de coordination nationaux, reliant Paris aux mobilisations dans les villes de province.

La loi El Khomri n’était qu’un premier pas pour la bourgeoisie française. Deux ans plus tard, parmi ses premiers actions, Macron s’est attaqué aux cheminots. Dans Le Monde (27 février 2018), un expert lui avait conseillé que le démantèlement de la SNCF devrait être présenté « comme une bataille… un combat héroïque contre l’hydre syndicale », comme l’a fait le premier ministre britannique Thatcher contre le syndicat des mineurs dans les années 80. Le premier ministre de Macron, Édouard Philippe, a souligné sa « détermination » ; un autre conseiller a remarqué, « ce n’est plus 1995 ». Il faisait allusion à la vague de grèves dans la fonction publique en décembre 1995, qui a déjoué les tentatives du gouvernement de réduire les retraites.

La comparaison avec les mineurs britanniques, qui ont finalement été réprimés en détruisant la totalité de l’industrie charbonnière, souligne le rôle clé joué par les cheminots en France pendant des décennies. Dans les grèves ferroviaires de 1986-1987, les bureaucrates syndicaux, y compris la CGT, ont été largement discrédités et des coordinations de grève ont vu le jour dans des centres ferroviaires clés, tels que Rouen. De nombreux membres de « l’extrême gauche » ont alors joué un rôle actif dans l’unification de la lutte, en contournant les bureaucrates des confédérations syndicales. Mais en 1995, de tels comités n’existaient presque plus et les anciens « gauchistes » qui y travaillaient étaient promu dans la bureaucratie syndicale. Dans les années 2000, malgré des tentatives isolées de les faire revivre dans les gares parisiens, ces coordinations anti-bureaucratiques massives n’étaient qu’un lointain souvenir.

Confrontés aux plans de Macron dès février 2018, les bureaucrates syndicaux ont tergiversé, perdant du temps avec des « négociations » interminables bien que le gouvernement ait déjà présenté son projet de loi sur la privatisation, et ils ont organisé un référendum en mai. En plus des « jours d’action » impuissants, les bureaucrates ont finalement opté pour la tactique perdante de « deux sur cinq », c’est-à-dire des grèves tournantes de deux jours suivies de trois jours de travail. Celles-ci traînaient, démobilisant les cheminots, énervant les navetteurs, et ont empêché une jonction avec les étudiants qui protestaient contre les systèmes de sélection sociale de Macron pour l’enseignement supérieur. Il n’y avait non plus une lutte commune avec d’autres employés du secteur public dont les « journées d’action » se chevauchaient parfois avec ceux des cheminots .

Finalement, la fédération syndicale Solidaires, avec le soutien du NPA, et les sympathisants de LO à la CGT ont commencé à s’agiter pour des grèves « reconductibles » sur chaque site de travail. À une occasion au moins, la CGT a appelé les flics contre les tentatives d’organiser une telle grève. Mais bien que plus militante, cette tactique a évité la nécessité d’une mobilisation plus large, nécessaire dans une confrontation de classe de cette ampleur, ainsi que la nécessité de disposer de comités de grève effectifs dans les différentes fédérations syndicales et d’une direction alternative. Une fois de plus, le plan du gouvernement a été adopté.

Aujourd’hui les contrats de travail à court terme d’une durée inférieure à un mois dépassent de loin – de 4,5 million contre 1 million – le nombre de contrats illimités. Seulement la moitié de ces travailleurs « jetables » sous contrat à court terme sont même éligibles aux allocations de chômage. Le taux de chômage officiel dépasse les 9% et le salaire mensuel moyen (après impôt) est de 1 700 €. Le gouvernement menace maintenant de licencier 120 000 employés de la fonction publique, en pensant qu’il a brisé la résistance des syndicats. Mais le combat n’est pas terminé.

Un rendez-vous manqué

Le Collectif Intergare à Paris, le 8 décembre. « Cheminots et gilets jaunes ensemble ». En dépit de la déclaration dégueulasse des chefs syndicaux, faisant echo à l’appel de Macron pour dénoncer « la violence », des travailleurs combatifs de la base se sont joint aux manifs.
(Photo : Jacques Billaudel / Flickr)

Le 17 novembre dernier, le secrétaire général de la CGT Martinez a réagi face au mouvement des Gilets jaunes en déclarant qu’il était « impossible d’imaginer la CGT défiler à côté du Front national ». Il les accusait en outre d’être une simple mobilisation contre les impôts manipulée par les patrons. Mais si Martinez pensait réellement qu’il s’agissait d’un mouvement dominé par les fascistes, il aurait dû proposer une opposition active, plutôt que de se laver les mains. En fait, les travailleurs des raffineries de pétrole ont entamé une grève nationale le 22 novembre dans le cadre de négociations salariales annuelles. Ainsi, dans le département des Bouches-du-Rhône, il y avait des grévistes d’une raffinerie Total se tenant de l’autre côté de la route, face aux gilets jaunes – une occasion parfaite pour la fraternisation. Pourtant la bureaucratie CGT s’est empressée de régler le contrat.

Le 5 décembre, Macron exigait que « les forces politiques, les forces syndicales et les employeurs… [lancent] un appel clair et explicite au calme et au respect du cadre républicain ». La CGT, CFDT, FO, FSU (enseignants) et plusieurs autres fédérations syndicales se sont réunies pour rédiger un communiqué qui condamnait « toutes formes de violence dans l’expression des revendications » et félicitant le gouvernement d’avoir « ouvert la porte au dialogue ». Comme manifestation concrète de cette trahison, le 7 décembre, après une réunion avec le ministre des transports, la CGT et FO ont annulé la grève illimitée des camionneurs qui devait commencer trois jours plus tard.

Enfin, le 5 février, après une certaine fraternisation sur le terrain et sous la pression de la base, les hauts sommets de la CGT ont convenu d’appeler à une grève générale d’un jour et à des manifestations communes avec les gilets jaunes (même que beaucoup d’entre eux, à cause de leur situation financière précaire, ne se manifestent que le samedi). Bien que les manifestations aient été aasez importantes, la grève elle-même a été mal suivie: trop peu, trop tard et sans lendemain.

Comme l’a écrit Trotsky à propos de cette tactique:

« La grève générale est, par son essence même, un moyen révolutionnaire de lutte. Dans la grève générale, le prolétariat se rassemble, en tant que classe, contre son ennemi de classe. L’emploi de la grève générale est absolument incompatible avec la politique du Front Populaire, laquelle signifie l’alliance avec la bourgeoisie, c’est-à-dire la soumission du prolétariat à la bourgeoisie. Les misérables bureaucrates des partis socialiste et communiste, de même que des syndicats, considèrent le prolétariat comme un simple instrument auxiliaire de leurs combinaisons de coulisse avec la bourgeoisie. On proposait aux ouvriers de payer une simple démonstration par des sacrifices qui ne pouvaient avoir de sens qu’au cas où il se fût agi d’une lutte décisive. Comme si l’on pouvait faire faire à ces masses de millions de travailleurs des demi-tours à droite et à gauche, selon les combinaisons parlementaires ! »
–« L’heure de la décision approche : sur la situation en France » (décembre 1938)

Bien que les syndicats ont subi des défaits à plusieurs reprises, la lutte des classes en France n’a jamais dépendu de la force de la seule organisation syndicale. Alors que Macron promet de nouveaux cadeaux fiscaux à sa base de la classe moyenne supérieure, il y aura encore plus de réductions dans les services publics. Entre-temps, malgré d’énormes subventions, des entreprises comme General Electric licencient des centaines de travailleurs de plus.

Face à cette offensive capitaliste, une vaste contre-offensive ouvrière s’impose. Le fait que d’ importantes couches de la petite bourgeoisie se sont mobilisés contre les mesures brutales de Macron, et qu’ils résistent la répression, est hautement positive, mais ils n’ont ni la force sociale ni l’intérêt cohérent de classe pour vaincre. Il faut que les militant(e)s ouvriers et ouvrières prennent le relais en luttant pour chasser la bureaucratie et écarter sa politique defeaitiste de collaboration de classe. En tendant la main aux Gilets jaunes, une direction syndicale de lutte de classe peut gagner bon nombre d’entre eux au combat révolutionnaire.

Une véritable stratégie pour faire face à cette guerre capitaliste contre les travailleurs impliquerait de faire grève dans les industries clés pour exiger que les contrats temporaires soient convertis en postes à temps plein ; pour raccourcir la semaine de travail sans perte de salaire, en divisant le travail disponible pour fournir des emplois aux chômeurs ; pour indexer les salaires contre l’inflation ; pour occuper les banques, en ouvrant leurs livres pour inspection par les commissions de travailleurs afin de déterminer où est allé l’argent ; et pour imposer le contrôle ouvrier dans les raffineries et les centres ferroviaires. Dans le cadre d’un tel programme de mobilisation du pouvoir de la classe ouvrière sur le chemin de la révolution socialiste, l’appel à une grève générale, un appel dirigé à la fois aux syndicats et aux travailleurs de base, comme en mai 1968 en France, est effectivement à l’ordre de jour.

Mais cela poserait clairement la question de savoir quelle classe est au pouvoir, de « qui est le maître dans la maison », comme le disait Trotsky dans les années 1930. Cela souligne la nécessité vitale de forger le noyau d’un parti ouvrier révolutionnaire, un parti trotskyste chargé de mener la lutte pour la révolution socialiste internationale. ■

Un gouvernement en guerre avec sa population

Des CRS à l’attaque contre des manifestants gilets jaunes, le 12 janvier, près de l’Arc de Triomphe à Paris.
(Photo : Kiran Ridley/Getty Images)

Les Gilets jaunes sont en mutation. Au début de la révolte, certains pensaient que la police fraterniserait avec eux. Maintenant, un chant populaire est: « Tout le monde déteste la police ». On rapporte que les policiers ne quittent désormais plus les commissariats que dans des groupes d’aux moins de quatre personnes. La ligne dure est dictée par le haut. Le gouvernement Macron a continué l’état d’urgence décrétée par le gouvernement Hollande après les attaques terroristes de novembre 2015, ce qui en fait le plus long état d’urgence ininterrompu depuis la guerre d’Algérie. En 2016, il a été utilisé pour réprimer les manifestations des travailleurs contre les « réformes du droit du travail » antisyndicales du gouvernement.

Le 1er décembre, une femme algérienne âgée de 80 ans à Marseille qui tentait de fermer les volets de son appartement a été tuée par des fragments d’une cartouche de gaz lacrymogène. Le 6 décembre, plus de 160 élèves, dont certains âgés de 13 ans à peine, ont été arrêtés devant une école de Mantes-la-Jolie. Une vidéo de l’arrestation massive – montrant des étudiants agenouillés, les mains derrière la tête ou menottés derrière le dos – ressemblaient au Chili de Pinochet. Certains ont été maintenus dans cette position pendant quatre heures. L’intention était évidemment de terroriser. Le 14 décembre, Amnesty International a publié une déclaration condamnant le fait que :

« Les forces de l’ordre ont utilisé des flashball (lanceurs de balles en caoutchouc), des grenades de désencerclement et des gaz lacrymogènes contre des manifestants majoritairement pacifiques, qui ne menaçaient pas l’ordre public… [en plus] de nombreux cas de recours excessif à la force par des policiers. »

La police prétend bien sûr se défendre, et les grenades GLI-F4 – qui dégagent un nuage de balles de caoutchouc, ainsi que des gaz lacrymogènes et un bruit assourdissant – sont censées constituer un dernier recours contre les meutes hurlants. Mais ils sont déployés de manière routinière, et la France est le seul pays de l’Union Européenne à les utiliser.

Ensuite, le 23 décembre, la police a commandé autres 1 280 canons anti-émeute qui utilisent des balles en caoutchouc – leur arme de choix depuis les révoltes de 2005 dans les banlieues d’immigrés parisiens. Pendant ce temps, une unité de police s’est présentée à la manifestation du 12 janvier à Paris avec les fusils automatiques Heckler & Koch G36, le fusil de combat standard de l’armée allemande, muni d’un chargeur à gaz de 30 cartouches ou d’un tambour de munition de 100 cartouches.

Le 5 février, la « loi anti-casseur » fut adoptée par le parlement (les briseurs de vitres et des pilleurs sont le plus souvent des provocateurs qui agissent librement sous les yeux de la police). La loi vise toute manifestant(e) avec le visage couvert et permet aux préfets d’interdire à des personnes sélectionnées de manifester sans devoir faire pétition au tribunal. Il est maintenant de routine que des personnes qui se rendent aux manifestations soient arrêtées « préventivement » après avoir été fouillées aux barrières de la police.

En six mois de manifestations des Gilets jaunes, quelque 24 manifestants (ou simples passants) ont perdu un œil, cinq se sont fait tirer les mains, et des centaines d’autres ont été blessés à la tête par des balles en caoutchouc ou des grenades de la police, parfois à bout portant. Un membre important des Gilets jaunes, Jérôme Rodrigues, a perdu un œil après avoir été touché au visage par un projectile de la police ; il était probablement pris délibérément pour cible. Le 2 juin, une macabre marche comprenant certaines de ces victimes mutilées par le terrorisme policier s’est tenue à Paris. Non seulement les manifestants, mais aussi des dizaines de journalistes ont été agressés physiquement ou leur équipement a été détruit par la police, et délibérément.

En outre, au début du mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement a annoncé le retour au service militaire universel pour cette année – une mesure visant à embrigader la jeunesse. Le chef d’état-major de l’armée de Macron, le général François Lecointre, se distingue par son expertise particulière dans l’utilisation de l’armée pour « la sécurité intérieure ». Ancien combattant de toutes les guerres néocoloniales françaises depuis les années 1990, il a également participé activement à la préparation de « l’Opération Sentinelle », qui a déployé des milliers de soldats en France après les attentats terroristes de 2015 (Le Figaro du 19 juillet 2018).

Ainsi, en plus de la police, des troupes ont été déployées dans divers bâtiments publics à Paris lors des manifestations des Gilets jaunes du 23 mars. Agissant conformément aux règles d’engagement de l’opération « anti-terroriste » Sentinelle, elles étaient autorisées à ouvrir le feu avec des balles réelles « si nécessaire ». Toutes ces mesures sont des préparatifs pour la guerre interne « préventive ». Comme nous l’avons écrit à propos de la répression massive contre les manifestations lors du sommet du G20 qui s’est tenu début juillet 2017 à Hambourg, en Allemagne :

« Dans ce chaos montant et le défi à la ‘gouvernabilité’, les banquiers à la main de fer de Bruxelles, Francfort, la City de Londres et Wall Street peuvent mettre des politiciens populistes rétifs comme Alexis Tsipras à Athènes ou Bernie Sanders aux États-Unis au pas aussi bien que les sociaux-démocrates réformistes tels que Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne. [Les banquiers] peuvent facilement maîtriser des marches de masses ‘pacifiques et légales’ et même des ‘grèves générales’ impuissantes d’un jour (arrêt de travail + défilé) contre l’austérité comme en Grèce. Ils feront appel à ce que les Soviétiques ont appelé les ‘ministères du pouvoir’ (a/k/a, ‘l’état profond’) pour rappeler des éléments incontrôlés comme Trump à l’ordre. Mais ils exigent que les dirigeants de Washington à Berlin aient l’appareil policier / militaire prêt à écraser les troubles civils, qu’ils attendent. »
–« G20 Summit Police State Terror in Hamburg » (Terreur d’état policier au G20 de Hambourg), repris dans The Internationalist No. 50, novembre-décembre 2017.  ■

Macron et les fascistes

Un groupe fasciste a attaqué le cortège du Nouveau Parti Anticapitaliste lors d’une manif des Gilets jaunes, le 26 janvier.
(Photo : Martin Noda/Tendance Claire-NPA)

Élu président du « moindre mal » face à la Marine Le Pen du Front National fasciste (maintenant Rassemblement National) en 2017, Emmanuel Macron a profité de la tourmente des partis bourgeois et de la chute du Parti socialiste pour se recruter une grande majorité parlementaire. En tant que tel, Macron est donc un « modéré » prétendu et appartient au « centre » politique bourgeois aux côtés de criminels de guerre tels que Hillary Clinton et Tony Blair. Ainsi, la politique française serait un conflit entre Macron (qui pense que l’Afrique a un problème « civilisationnel ») et Le Pen. Dans le même ordre d’idées, la population était censée choisir l’escroc de droite Jacques Chirac, en tant que le « moindre mal », contre le fasciste Jean-Marie Le Pen aux élections présidentielles de 2002.

Le gouvernement a cherché à renforcer sa prétention d’être un bouclier contre « l’extrémisme » en se saisissant d’une forte augmentation des incidents antisémites depuis l’année dernière. Celles-ci ont été clairement l’œuvre de fascistes, sans lien particulier avec les Gilets jaunes. Puis, le 16 février, le « philosophe » islamophobe Alain Finkielkraut a été affronté sur les trottoirs de Paris en même temps qu’une manifestation des Gilets jaunes et dénoncé comme « sale sioniste » et raciste. Il a été annoncé qu’il avait été qualifié de « sale juif » (une vidéo prouvait que c’était un mensonge) et l’ensemble du mouvement des Gilets jaunes rendu responsable. Finkielkraut a ensuite publié une déclaration dans laquelle il établissait un vil amalgame entre immigrés, musulmans, antisémites, antisionistes et l’extrême gauche (tandis que Marine Le Pen dénonçait l’infiltration des Gilets jaunes par « l’extrême gauche »).

Le 20 février, lors d’un dîner organisé par le CRIF (Conseil Représentatif des Institutions Juives de France), Macron a rejoué cette chanson, en identifiant « l‘extrémisme », l‘antisémitisme et l‘antisionisme. Il a ensuite condamné cette idéologie qui « gangrène certains de nos quartiers »  appelant à une « reconquête républicaine » de ceux-ci. Tout cela rappelle les mensonges racistes de Fox News, de de outre Atlantique, qui fantasme sur « zones interdites » pour la police dans les quartiers d’immigrés des villes européennes. Macron est dans la continuité de son prédécesseur de « gauche », François Hollande, qui a interdit tout plaidoyer en faveur du boycott d’Israël (le BDS) et des manifestations pour protester contre l’attaque israélienne à Gaza de 2014, réprimant des jeunes immigrés.

Parmi les gilets jaunes, il y a certainement de véritables antisémites, des fascistes, principalement des groupes plus petits, de type nazi, actifs sur le terrain. Le 26 janvier, un groupe restreint mais bien organisé de voyous fascistes a attaqué un contingent du NPA à Paris et a été repoussée. Pourtant, malgré les éléments chauvins et racistes du mouvement des Gilets jaunes, ces forces n’ont pas été en mesure de déclencher des pogroms anti-immigrés comparables à ceux de l’Allemagne l’année dernière.

Marine Le Pen a apporté un soutien verbal aux Gilets jaunes, dans l’espoir de récolter des bénéfices électoraux ultérieurs. Cependant, elle est freinée par le fait qu’une majorité de policiers votent pour le RN ainsi qu’ils répriment brutalement les gilets jaunes. Elle-même s’est opposée à l’amnistie pour les manifestants arrêtés (et s’oppose à l’augmentation du salaire minimum). Donc, l’émergence des Gilets jaunes n’a pas beaucoup profité aux fascistes lors des élections au Parlement européen de fin mai: bien qu’il a augmenté son nombre de voix, le pourcentage électoral du RN a en fait diminué. Mais le fait que les fascistes aient devancé le parti de Macron laisse présager plutôt une convergence accrue entre les deux forces en termes de répression intensifiée des immigrés et des réfugiés.

Ce n’est pas un hasard si le chef de déclarer la liste européenne de Macron était Nathalie Loiseau, connue pour être une sympathisante du GUD fasciste à l’époque des études universitaires. Elle déclare désormais : « Sur la question des frontières, l’Europe doit se faire respecter. Personne ne doit rentrer en Europe s‘il n‘y est pas invité. » Macron lui-même, dans son discours du 25 avril, déclara que « Les frontières communes, les accords de Schengen et de Dublin ne fonctionnent plus », et promit une « refondation complète » de la politique d’immigration, notamment en bloquant le regroupement familial.

Pendant ce temps, à la frontière franco-italienne, l’armée, la police CRS paramilitaire, les gendarmes, la police nationale et la police des frontières – armés jusqu’aux dents et équipés de lunettes de vision nocturne ou de détecteurs de mouvement – sont à la recherche de réfugiés. S’ils se font prendre, ils n’ont pas accès à un médecin ou à un avocat et sont immédiatement expulsés. Une loi de février 2018 avait déjà permis de réduire d’un tiers le délai d’introduction d’une demande d’asile et de diviser par deux le délai imparti pour le recours en annulation, tout en multipliant par trois le temps qu’ils peuvent être reclus en centres de détention.

Une chose est sûre ; lorsqu’il y a des luttes concrètes contre l’austérité capitaliste, les bandes fascistes serviront toujours d’auxiliaires à la répression de l’état bourgeois. Et ils sont directement liés au Rassemblement National via le « Département de la Protection et de la Sécurité » de ce dernier, dont les nervis ont brutalement attaqué des membres de l’Union européenne des étudiants juifs de France (UEJF) qui distribuaient un tract devant une réunion du RN le 1er mai. De plus, fin mars 2018, lorsque des étudiants de l’Université de Montpellier ont occupé la faculté de droit, une bande armée de fascistes masqués, en collaboration avec le doyen de la faculté, a brutalement agressé les étudiants.

La lutte pour la mobilisation ouvrière pour écraser la menace fasciste est d’une actualité brûlante.  ■