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août 2008  



Des Haïtiens brûlés et tués à coups de machette par des meutes de lyncheurs, des dizaines de milliers expulsés par l'armée dominicaine

 Arrêtez la persécution des travailleurs haïtiens en République Dominicaine!


Résultat d’un attaque de lyncheurs dans le batey de Fao en Guerra, République dominicaine,
le 22 janvier 2006.  
(Photo:  Justo/El Nacional)

Ce texte datant de 2006 a été traduit de l’anglais à l’occasion d’un piquet organisé par des groupes de gauche dominicains, haitiens et américains face au consulat dominicain à New York, le 7 août 2008.

31 JANVIER 2006 – Depuis le moi de mai 2005, une vague de violence raciste et xénophobe (anti-étranger) a déferlé sur la République dominicaine, incité par le gouvernement dominicain, en ciblant les travailleurs immigrés haïtiens ainsi que les Dominicains à la peau foncée d'origine haïtienne. (Haïti et la République dominicaine se partagent lîle de Quisqueya (Hispaniola) dans les Antilles, et le racisme anti-haïtien est depuis longtemps un élément de base de la politique bourgeoise dominicaine.) Au cours de cinq grandes vagues, au moins 20.000 hommes, femmes et enfants ont été ramassés par des soldats et sommairement expulsés en Haïti sans la moindre prétention de légalité1. En outre, au moins une vingtaine de Noirs ont été assassinés par des meutes de lyncheurs et nombre d’entre eux frappés à morts avec des machettes ou brûlés vifs en les arrosant avec de l’essence et en les mettant en feu.

A partir du 1er janvier, le gouvernement du président dominicain Leonel Fernández intensifia la persécution anti-haïtienne. L’opération Vaquero (Cowboy) a placé un cordon de soldats le long de la frontière pour traquer les immigrés. Les premières victimes furent 25 Haïtiens qui sont morts d’asphyxie le 10 janvier, pris au piège dans un camion poursuivi par la police dominicaine. Douze jours plus tard dans la ville de Guerra, après un incident au cours duquel un sergent de l’armée de l’air a été tué par un policier, une foule assassine d’hommes lourdement armés a dévasté 27 maisons d’immigrés Haïtiens et de Dominicains noirs et a tenté de brûler un bébé vivant. Une semaine plus tard, les maisons haïtiennes furent réduits en cendres à Moca. Maintenant, un agent supérieur dominicain de l’immigration vient de déclarer que tous les Haïtiens sans papiers de résidence seront expulsés, et le gouvernement a coupé l’importation annuelle de milliers de travailleurs haïtiens pour la récolte de sucre, provoquant une crise dans ce secteur clé.

Pendant ce temps, à l’autre côté de la frontière des troupes d’occupation de l’ONU pour le « maintien de la paix » en Haïti ont procédé à une série d’attaques meurtrières dans les bidonvilles de la capitale, en ciblant les partisans de Jean-Bertrand Aristide, le président haïtien démis de ses fonctions et enlevé par une invasion américaine en mars 2004. Comme un grand nombre de Haïtiens fuient le chaos, la misère et la répression de leur pays occupé, les autorités américaines s’empressent de les retourner. Le 19 janvier [2006], les avocats représentant des tas de réfugiés haïtiens ont demandé que Washington mette fin à toutes les déportations vers Haïti. Et le 7 février, les élections présidentielles haïtiennes se tiendront après avoir été reportées plusieurs fois. Alors que les sondages d’opinion montrant que le candidat favorisé par les adeptes du président Aristide [René Préval] devance, de loin, ses adversaires, la capitale haïtienne se trouve dans un état de haute tension et certains s’attendant à des actions préventives de la part des secteurs droitiers de la bourgeoisie, de leurs forces paramilitaires ou des forces d’occupation de l’ONU.

La Ligue pour la Quatrième Internationale et le Groupe Internationaliste exhortent les travailleurs avec une conscience de classe, les jeunes à l’esprit révolutionnaire et tous les opposants de l’impérialisme à protester contre la persécution des Haïtiens pauvres, des immigrés et des réfugiés. De Saint-Domingue à New York, nous revendiquons les pleins droits de citoyenneté pour tous les immigrants, légaux ou « illégaux ». Contre les haines nationalistes toxiques, nous luttons pour l’unité des travailleurs haïtiens, dominicains et américains contre le capital. En République dominicaine, en Haïti et aux États-Unis, nous luttons pour construire des partis ouvriers révolutionnaires contre tous les partis capitalistes. Et nous soulignons que cette orgie de répression chauvine et de massacres des Haïtiens fait partie de la « guerre contre le terrorisme » des États-Unis visant à terroriser le monde jusqu’à la soumission aux diktats américains. Nous disons: Chassons les impérialistes et leurs laquais hors de l’Afghanistan, de l’Irak et d’Haïti!

Pogroms anti-Haïtiens

Le déclencheur pour les pogroms anti-haïtiens prolongés a été le meurtre d’un couple dominicain à la mi-mai dans la petite ville dominicaine de Hatillo Palma située dans la province de Montecristi. Après que la police avait détenu dix Haïtiens (aucune preuve les reliant à la criminalité n’a été présenté), les lyncheurs ont commencé à incendier des cabanes d’immigrés haïtiens pauvres, principalement des travailleurs sur des exploitations de bananes. Avant l’aube le jour suivant, les soldats dominicains ont commencé sans discrimination à rafler des centaines de Noirs et à les transporter jusqu’à la frontière haïtienne. Au cours de trois jours, presque toute la population noire de la ville a été déportée. Rapidement la violence de la meute anti-haïtienne s’est répandue dans le nord-ouest de la République dominicaine, poussant des milliers de personnes vers la frontière en Haïti. Lorsque certains réfugiés sont retournés un mois plus tard, à Hatillo Palma, des miliciens sont tombés sur eux pendant qu’ils dormaient, décapitant deux d’entre eux.

Cette combinaison de la répression gouvernementale et de la violence des meutes de lyncheurs a réveillé les craintes d’une répétition du massacre organisé en 1937 par le dictateur dominicain Rafael Leónidas Trujillo, alors qu’on estime que 37.000 Haïtiens et Dominicains noirs ont été ramassés sous la menace des armes et exécutés, souvent par des machettes (pour donner l’impression que les paysans avaient commis les meurtres). Beaucoup d’autres ont été emmenés sur les quais et jetés à la mer à Montecristi avec leurs bras et pieds liés. La Rivière Massacre qui sépare Haïti de la République dominicaine est devenue rouge avec le sang des victimes. Cette horreur a fait l’objet du roman, The Farming of Bones (Amabelle en français) (1998), par l’écrivaine américano-haïtienne Edwidge Danticat.

Avec cette horrible scène gravée dans leur mémoire collective, les Haïtiens et Dominicains noirs s’enfuirent massivement en juin 2005 de Santiago de los Caballeros, le centre de la région de Cibao, pour leur sécurité. Les parents ont assiégés les bureaux du gouvernement en exigeant des certificats de naissance pour leurs enfants et les jeunes nés en République dominicaine. La réponse des autorités fût d’ordonner plus de déportations, 200 de Santiago seulement. À la mi-août, le gouvernement a expulsé 3.000 autres personnes en Haïti, en particulier des femmes et des enfants. La raison de cette rafle sélective est claire: la banane dominicaine, les fermes de café et les plantations de sucre ne pourraient pas fonctionner sans le travail des hommes d’origine haïtienne, qui peinent dans des emplois éreintants pour quelques dollars par jour. Jusqu’à un million d’immigrants haïtiens vivent en République dominicaine (sur une population totale de 7 millions d’habitants), bon nombre y résidant depuis des décennies.

Toujours en août 2005, quatre jeunes hommes haïtiens dans la capitale dominicaine de Saint-Domingue ont été bâillonnés, arrosés avec un liquide inflammable et mis en feu; trois sont morts. Le modèle sanglant se répète tout au long de l’automne: à la fin de septembre, deux hommes noirs ont été accusés d’avoir tué un travailleur dominicain à Guatapanal, non loin de Puerto Plata. Une foule est descendu dans les quartiers haïtiens, déterminée à assouvir sa vengeance: de nombreux Noirs ont été battus, un autre s’est noyé dans une rivière en fuyant ses assaillants. Un article dans le New York Times (20 novembre 2005) a déclaré:

« ‘Lorsqu’il ya deux Haïtiens, un doit être tué, s’il y a trois Haïtiens, deux devront être tués’, disaient les dirigeants de la foule qui est descendu dans les camps d’immigrants, selon les Haïtiens ici s’en souviennent. Mais ils en laissent toujours un partir pour qu’il puisse retourner dans son pays et raconter ce qui s’est passé ».

Et au début du mois de décembre, au moins dix Haïtiens ont été assassinés par des meutes de lyncheurs tandis que des dizaines de Noirs ont été brûlés dans leurs foyers dans la ville dominicaine de Villa Trina, au nord du pays, encore une fois supposément en représailles pour la mort d’un homme Dominicain.

Au milieu de cette orgie de meurtres et d’incendies xénophobes il y a une chose qu’il ne faut pas oublier: les bandes de tueurs déchaînés peuvent être composées de paysans dominicains appauvris et d’habitants des taudis, mais ils ont été mis en mouvement par les dirigeants bourgeois.

L’histoire d’« anti-haitianisme » dans la République dominicaine

Tout au long de l’histoire dominicaine, des politiciens nationalistes réactionnaires ont fait appel à l’idéologie raciste de l’ « antihaitianismo » pour consolider et conserver leur pouvoir dans « leurs » deux-tiers de l’île. Après la Révolution haïtienne de 1791-1804 – la première révolte d’esclaves réussie dans l’histoire, qui a vaincu les efforts conjugués des forces expéditionnaires françaises, britanniques et espagnoles – l’armée révolutionnaire haïtienne a marché trois fois sur Saint-Domingue; elle expulsait finalement les colonialistes espagnols et abolissait l’esclavage en 1822. Même après que l’indépendance dominicaine d’Haïti ait été déclaré en 1844, les propriétaires terriens conservateurs étaient tellement préoccupés par une « menace haïtienne » qu’ils ont rendu le pays à l’Espagne. Il a fallu la Guerre de la Restauration en 1861-65 (coïncidant avec la Guerre Civile américaine), sous la direction du général noir Gregorio Luperón, pour reconquérir l’indépendance dominicaine.

Le racisme anti-haïtien de Trujillo, le dictateur installé par les États-Unis qui a régné sur la République dominicaine avec une main de fer de 1930 jusqu’à ce qu’il devienne un fardeau pour les É.U. et que la CIA l’ait assassiné en 1961, est légendaire. Il en va de même pour son acolyte Joaquín Balaguer, qui suite à l’invasion américaine de Santo Domingo en 1965 a dirigé le pays au nom de l’impérialisme américain de 1966 à 1978, puis de nouveau de 1986 à 1996. Pour justifier le massacre par Trujillo en 1937 d’Haïtiens et de Dominicains d’origine haïtienne, Balaguer a déclaré: « Le problème de la race est, par conséquent, le principal problème de la République dominicaine .... De cela dépend, d’une certaine manière, l’existence même de la nationalité qui depuis plus d’un siècle a dû lutter contre une race plus prolifique » (cité par Ernesto Sagás, « Un cas d’identité erronée: L’antihaitianismo dans la culture dominicaine », Latinamericanist [1993]).

Mais les soi-disant dirigeants « démocratiques » du Parti Révolutionnaire Dominicain (PRD) et du Parti de la Libération Dominicaine (PLD), ont également joué la carte du racisme anti-haïtien. Il y a déjà eu des déportations massives d’Haïtiens et de Dominicains noirs en 1991 sous Balaguer, en 1997 et 1999 sous le président Leonel Fernández du PLD, et en 2000-2001 sous le président Hipólito Mejía du PRD (Coalition nationale pour les droits des Haïtiens, « Les Haïtiens en République dominicaine: expulsions et déportations de masse », novembre 2001). Mejía en a expulsé 12.000 vers Haïti dans le seul mois de mars 2001  (« Rapport de la délégation du Réseau de soutien à Haïti dans la Républicaine Dominicaine », avril 2001). Même en l’absence d’expulsions massives, les déportations d’Haïtiens de la République dominicaine ont tourné autour de 20.000 par an au cours de la dernière décennie et demie.

Ces rafles arbitraires sont justifiées par des hauts fonctionnaires avec un racisme non dissimulé. Quand Human Rights Watch a interrogé le dirigeant des affaires haïtiennes pour le Département dominicain d’émigration sur la façon dont ils ont identifié les Haïtiens, il a répondu qu’ils peuvent être repérés « par leur mode de vie », parce « qu’ils sont plus pauvres que nous le sommes », « qu’ils vivent dans des maisons horribles », qu’ils ont « la peau rugueuse » et « qu’ils sont beaucoup plus noirs que nous le sommes ». Il a dénoncé l’« invasion » des jeunes délinquants haïtiens, qui sont faciles à reconnaître « parce qu’ils boivent et dansent comme ils le font dans la capitale haïtienne » (HRW, « République dominicaine, ‘Le peuple illégal’: les Haïtiens et les Dominico-Haïtiens en République dominicaine », avril 2002). De tels appels xénophobes et racistes de la part de fonctionnaires du plus haut niveau attisent les lyncheurs dans la rue.

Surexploitation et quasi-esclavage des travailleurs haïtiens

 Le parrainage officiel de l’hystérie anti-haïtienne n’est pas limitée à la sphère idéologique, elle est profondément ancrée dans la structure juridique et économique du capitalisme dominicain. Légalement, les descendants d’immigrants haïtiens sont privés de tous les droits par un impénétrable réseau d’obstacles. Bien que l’article 11 de la Constitution dominicaine reconnaisse la citoyenneté de « toute personne née sur le territoire de la République dominicaine », il y a une lacune juridique. Les immigrés haïtiens sans papiers sont considérés comme étant « en transit », et ainsi leurs enfants nés en République dominicaine se voient refuser la citoyenneté. Tout d’abord, le personnel hospitalier refuse de donner aux mères des certificats de naissance stipulant quand et où leurs enfants sont nés. Ensuite, quand elles cherchent à inscrire les enfants à l’état civil, ils sont refusés parce que les parents n’ont pas de papiers d’identité ou de résidence dominicains. Et quand ils essaient d’aller à l’école, les enfants se font souvent refuser l’entrée s’ils n’ont pas une preuve de citoyenneté.

Il y a donc une couche entière de la population qui a grandi sans tout droit légal que ce soit, maintenue dans l’ignorance forcée et la pauvreté, et périodiquement soumise à la terreur parrainée par l’État. Les demandes par les Dominicains d’origine haïtienne à ce que la citoyenneté de leur enfants soit confirmé ont causé un tollé international et produit un arrêt de la Cour interaméricaine des droits de l’homme en octobre 2005 ordonnant au gouvernement d’accorder la citoyenneté (ainsi que des réparations et des excuses publiques) à deux filles, Dilcia Yean (maintenant 8 ans) et Violeta Bosico (maintenant 20 ans), et de réformer ses lois pour rendre explicite le droit de tous les enfants qui sont nés dans le pays à la citoyenneté dominicaine. Ceci a mené à des hurlements d’indignation de la part du gouvernement, et en décembre la Cour Suprême dominicaine a déclaré que les enfants d’immigrés sans-papiers ne sont pas des citoyens.

La présence d’une énorme masse de personnes (bien plus de 10 pour cent de la population totale) vivant dans une semi-clandestinité ne peut être que le résultat de forces économiques puissantes. Et en fait, l’industrie sucrière, qui fut pendant des décennies le pilier de l’économie dominicaine, a été construite grâce au travail forcé des travailleurs haïtiens. Cela remonte à la Première Guerre mondiale, lorsque les États-Unis ont perdu leurs livraisons de sucre de betterave de l’Europe et ont entrepris une vaste expansion de la production de canne à sucre en République dominicaine (que les États-Unis ont occupé de 1916 à 1924, officiellement pour recueillir des dettes de paiement aux banques de Wall Street) à l’aide de travailleurs importés en provenance d’Haïti (que les États-Unis ont également occupé de 1915 à 1934). Les compagnies sucrières avaient des quotas annuels de dizaines de milliers de travailleurs haïtiens, qui reçurent (tout au plus) des salaires de misère et furent confinés dans les misérables batayes (bidonvilles) sur le bord des plantations par les patrouilles de la milice, de la police et des gardes en milieu rural.

Ce système de plantation d’esclavage virtuel a été supervisé par une Police Nationale formée par les États-Unis. Quelques années après le départ des Marines, le général Trujillo est arrivé au pouvoir à Saint-Domingue. Il faisait partie d’une série de dictateurs au petit pied dans les Caraïbes et en Amérique centrale qui provinrent des rangs de la police coloniale dans d’autres pays occupés par les États-Unis (Somoza au Nicaragua, Batista à Cuba), ainsi que des armées fantoches des « Républiques bananières » semi-coloniales (Ubico au Guatemala). Dans les années 1950, Trujillo a décidé de prendre en charge les raffineries de sucre appartenant aux Américains et de les diriger comme son propre fief. Après qu’il ait été renversé en 1961, les plantations furent nationalisées et ont formé le CEA (Conseil d’État du sucre). Ainsi, que ce soit sous les Américains, sous Trujillo ou ses successeurs pseudo-« démocratiques », le système était basé sur la surexploitation du travail forcé des Haïtiens.

Ceci représente un quasi-esclavage. En fait, le massacre de 1937 et les périodiques rafles/déportations de masse au cours des dernières années ont été concentré parmi les Noirs trouvés en dehors des bateyes, qui furent traités comme des esclaves fugitifs. Ce système a été bien documenté, notamment dans le reportage de Maurice Lemoine, Sucre amer: esclaves aujourd’hui dans les Caraïbes (Édition Encre, 1981). Une série de rapports par la Coalition nationale pour les droits des Haïtiens en 1989-1992 a montré comment les travailleurs haïtiens ont été recrutés de manière trompeuse, ont été rassemblés à la frontière par l’armée dominicaine, transportés par camion vers les différentes plantations et soumis à des mauvais traitements brutaux. Après que les raffineries du CEA furent privatisées en 1999, les conditions étaient aussi mauvaises, voire pire. Lorsque plusieurs raffineries fermèrent après une dégringolade des prix du sucre, des dizaines de milliers de travailleurs noirs dans les bateyes se sont retrouvés sans emploi. Certains d’entre eux ont trouvé du travail dans l’industrie de la construction urbaine. Mais ils courent le risque d’être ramassés et déportés, même s’ils sont nés en République dominicaine, et que dans certains cas leurs familles y ont résidées pendant plusieurs générations.

Unissons travailleurs Haïtiens et Dominicains
contre l’exploitation et la répression capitaliste

La répression brutale infligée par l’armée dominicaine ne se limite pas aux immigrés haïtiens et leurs descendants. Sous Trujillo et son acolyte Balaguer, des milliers de gauchistes dominicains ont été assassinés pendant des décennies. Dans la période post-Trujillo/Balaguer, des grèves générales au sujet des pannes constantes d’électricité et de la hausse des prix du carburant ont été régulièrement écrasés avec un bilan de plusieurs morts. Dans le cas le plus récent, en octobre 2005, deux manifestants ont été tués par la police lors dans une manifestation à Santiago. Sous le précédent gouvernement de Hipólito Mejía, une grève générale en novembre 2003 a été écrasé avec sept grévistes tués. Mais le meilleur exemple du rôle de ces armées semi-coloniales, dont le travail est de réprimer une population agitée afin d’assurer la poursuite de la domination impérialiste, est arrivé au début de l’année 2004.

Le contingent « Plus Ultra » de plusieurs centaines de soldats de l’élite dominicaine venait de rentrer d’Irak, où ils assumaient les fonctions de troupes mercenaires de l’occupation américaine. Les 28 et 29 janvier 2004, la police, les milices présidentielles et les militaires ont réprimé une grève générale. Ils ont affronté les grévistes dans cinq villes et ont laissé un bilan de huit manifestants tués. En même temps, l’armée dominicaine a fourni des camps d’entraînement pour une force de plusieurs centaines d’anciens soldats haïtiens qui se préparaient à envahir Haïti et organiser un coup d’État visant à renverser le gouvernement Aristide. À la mi-février, les putschistes lancèrent leur attaque. Alors qu’ils s’approchaient de la capitale haïtienne de Port-au-Prince, le 29 février 2004, les États-Unis ont envoyé un corps expéditionnaire de 2.000 Marines, de Forces Spéciales et d’agences de sécurité « privé », qui ont expédié Aristide dans un avion sans insigne et l’ont largué sur une piste au milieu de l’Afrique centrale.

Dès le lendemain, un corps de soldats dominicains a débarqué à l’atelier d’exploitation CODEVI dans une « zone de libre-échange » à Ouanaminthe juste à l’intérieur d’Haïti pour réprimer un débrayage par les travailleurs haïtiens. L’usine appartient à un fabricant de vêtements dominicain, le Grupo M, qui est financé par Wall Street par l’intermédiaire de la Banque mondiale. Deux jours plus tard, un détachement de « rebellés » de l’ancienne armée haïtienne est arrivé pour passer les menottes aux dirigeants syndicaux et forcer les travailleurs à retourner au travail sous la menace des armes. Voici donc les forces armées des deux États capitalistes sur l’île travaillent ensemble en tant que chiens de garde du capital impérialiste. Comme nous l’avons écrit à l’époque, « Ceci démontre d’une façon criante le besoin pour la lutte révolutionnaire commune par les travailleurs dominicains et haïtiens contre leurs patrons respectifs, les régimes néocoloniaux qui les répriment, et contre leurs maîtres impérialistes! » (« La lutte pour la révolution ouvrière dans les Antilles » dans The Internationalist no.18, mai-juin 2004).

Au cours du dernier siècle et demi, les persécutions racistes et l’hystérie xénophobe contre les Haïtiens et la Dominicains à la peau foncée d’origine haïtienne ont été utilisés par les propriétaires terriens blancs, par les propriétaires de raffineries du sucre et d’ateliers d’exploitation capitalistes, ainsi que par la police et l’armée meurtrières pour diviser les travailleurs dans les deux-tiers orientaux de Quisqueya. Cette île prospère qui fut jadis la plus riche colonie du monde reste enlisée dans la pauvreté, pendant que les dirigeants bourgeois se prélassent dans leurs villas et que leurs maîtres impérialiste construisent des gratte-ciel à Manhattan (comme l’ancienne tour Gulf+Western) et des domaines immobiliers dans les îles des Caraïbes avec les surprofits extraits de la sueur des travailleurs haïtiens et dominicains.

La gauche, toutefois, a été enchaînée par le nationalisme des deux côtés de la frontière, en subordonnant les travailleurs à des politiciens bourgeois, du caudillo nationaliste dominicain Juan Bosch au populiste haïtien Aristide. En République dominicaine, les nationalistes-réformistes de gauche ont au plus offert une défense tiède et légaliste du droit à la citoyenneté pour les enfants nés en République Dominicaine, dans le cas du PTD (Partido de los Trabajadores Dominicanos), tandis que des bouffons dégoûtants comme le Pacoredo (Partido Comunista de la República Dominicana) ont en fait attisé la frénésie chauvine contre « l’invasion massive par les Haïtiens » et des plans mythiques par des « pro-Haïtiens » capitalistes/ecclésiastiques pour fusionner Haïti et la République dominicaine. En revanche, un véritable parti communiste en République Dominicaine exigerait les pleins droits de citoyenneté pour tous, et prendrait l’initiative pour mobiliser  unies des travailleurs dominicains et haïtiens en défense des bateyes contre la violence des meutes de lyncheurs.

Aujourd’hui, les organisations soi-disant socialistes sur l’île sont plus faibles que jamais, mais la lutte de classe continue. Ce qui est d’une nécessité brûlante maintenant est une direction révolutionnaire internationaliste. Dès les premiers moments de l’intervention USA/ONU en Haïti, la Ligue pour la Quatrième Internationale a lutté pour chasser les forces expéditionnaires. Nous sommes aux côtés de ceux qui résistent contre les impérialistes yankees, leurs  mercenaires des « Nations-Unies » et leurs flics coloniaux meurtriers. En même temps, nous ne donnons pas de soutien politique à Aristide, le protégé des Démocrates libéraux qui a été installé dans le palais présidentiel haïtien et ensuite enlevé de celui-ci par les baïonnettes des Marines. Au cours des huit derniers mois, le Groupe Internationaliste a participé à de nombreuses manifestations à New York dénonçant la répression des Nations-Unies en Haïti et la persécution des immigrés haïtiens en République dominicaine.

Pendant des décennies, l’énergie révolutionnaire des travailleurs et des peuples opprimés en Amérique latine et dans le monde a été gaspillée au service des alliances de collaboration de classe avec les forces bourgeoises. De l’Espagne dans les années 1930 à Salvador Allende du Chili dans les années 70, le « Front populaire » a toujours été une recette pour la défaite, qui limitait la lutte aux objectifs démocratiques bourgeois, ce qui laisse intact les armées trempées de sang et leurs maîtres capitalistes au pouvoir. Ceci reflète le dogme anti-marxiste de « la construction du socialisme dans un seul pays » mis de l’avant par Staline et ses héritiers pour couvrir leur abandon du programme de la révolution socialiste mondiale de V.I Lénine et Léon Trotsky. Ce mot d’ordre nationaliste-stalinien est d’autant plus criminel dans le cas d’Haïti et de la République dominicaine, où cela signifie limiter la lutte à un tiers ou deux de l’île appauvrie.

Les léninistes-trotskystes luttent au contraire pour le programme de la révolution permanente. Nous insistons que la seule façon d’éradiquer les forces réactionnaires enracinées est que la classe ouvrière renverse le capitalisme, conjointement avec une révolution agraire dans les campagnes, et procède aux tâches socialistes et à l’extension internationale de la révolution. Il n’existe pas de base pour un Haïti ou une République Dominicaine démocratique et capitaliste – les classes dirigeantes bourgeoises sont trop faibles pour se maintenir au pouvoir sans l’aide des juntes militaires, des escadrons de la mort et des troupes impérialistes (avec un avion planqué à l’hacienda pour une fuite rapide). Les patrons attisent des haines nationalistes pour inciter les travailleurs à se battre les uns contre les autres – Dominicains contre Haïtiens, les îles hispanophones contre les anglophones et les francophones – dans une région découpée autrefois par sept puissances coloniales. Cependant, en luttant pour surmonter ces divisions sur la base de l’internationalisme prolétarien, on peut jeter les bases pour une fédération socialiste volontaire des Antilles.

Depuis l’époque du grand général révolutionnaire haïtien Toussaint Louverture, la lutte contre les propriétaires d’esclaves et les capitalistes dans les deux parties de l’île de Quisqueya a été inextricablement liée. Elle est également intimement liée à la lutte pour la révolution ouvrière dans le centre de l’impérialisme américain. Près d’un million d’immigrants haïtiens et dominicains sont stratégiquement situés dans la capitale financière du monde capitaliste. Dans la ville de New York, les semences de la révolution ouvrière commune haïtienne-dominicaine peuvent être semées, tout en luttant aussi pour l’indépendance de Porto Rico et pour défendre Cuba contre l’impérialisme yankee. A la veille du siècle dernier, des révolutionnaires antillais – les Cubains José Martí et Antonio Maceo, le Dominicain Máximo Gómez et le Porto-Ricain Eugenio María de Hostos – se sont regroupés dans le Parti Révolutionnaire Cubain et travaillaient ensemble à Saint-Domingue et à New York pour lutter contre la domination coloniale. Aujourd’hui, la Ligue pour la Quatrième Internationale cherche à forger les noyaux de futurs partis trotskystes d’avant-garde pour mener la lutte internationaliste qui peut enfin transformer la luxueuse Perle des Antilles en un paradis tropical pour tous. n


1 Des chiffres ultérieures constatent qu’il y avait plus de 60.000 Haïtiens expulsés en 2005.


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